DEUXIEME PARTIE : LA NOTION DE "DISCIPLINE" ET LES SAVOIRS SCOLAIRES EN PERSPECTIVE.

 

EDUQUER AUX SCIENCES

 

 

 

PRESENTATION, INTRODUCTION

Personne ne peut aujourd'hui en douter : la formation scientifique et technique est un enjeu éducatif capital pour nos sociétés modernes.

 

Il s'agit bien entendu d'une entreprise à long terme : dans une société scientifique et technique, cette formation ne peut que s'étendre "tout au long de la vie". Les sciences et les techniques, par nature, ne cessent d'évoluer.

 

Quel doit, quel peut être alors le rôle de l'école primaire, de la maternelle à la fin du cycle 3 ?

 

Celui d'une base, d'un fondement, assurément. Mais fondement de quoi ? Des premiers savoirs ? Des attitudes et de l'état d'esprit propre aux sciences ("l'esprit scientifique") ? Des démarches, des méthodes ? D'une culture commune ?

 

L'interrogation sur "ce que doit être la formation scientifique" dans l'école est au cœur de l'innovation et de la recherche didactique depuis une trentaine d'années. D'une certaine façon, les questions, les problèmes, les solutions restent les mêmes ! Le noyau dur de la rénovation se situe bien du côté d'une pédagogie constructiviste, qui emprunte à Piaget comme à Bachelard. On le vérifiera en comparant les travaux conduits dans les années 80 autour de ce qu'on appelait alors "les activités d'éveil scientifiques", et l'opération "la main à la pâte" (Georges CHARPAK) des années 95.

 

I. DE "L'ÉVEIL SCIENTIFIQUE" À "LA MAIN À LA PÂTE"

1) Une démarche d'éveil scientifique

On analysera ici un documentaire pédagogique à destination des maîtres produit par le Centre National de la Documentation Pédagogique, de la série "L'enfant et son corps" : l'étude du corps humain dans une classe de CM ("Des activités représentation aux activités de symbolisation").

L'analyse s'attachera plus particulièrement aux objectifs poursuivis et aux démarches mises en œuvre.

 

2) "La main à la pâte" 

Initiée par G. Charpak et relayée par l'INRP, l'opération "la main à la pâte" a pour mission d'accompagner les enseignants dans le développement des activités scientifiques dans les classes, en relation avec les scientifiques, les didacticiens, les formateurs. Diverses méthodes doivent susciter l'activités des enfants.

 

Principes de base

"1. Les enfants observent un objet ou un phénomène du monde réel proche et sensible et expérimentent sur lui".

"2. Au cours d leurs investigations, les enfants argumentent et raisonnent, mettent en commun et discutent leurs idées et leurs résultats, construisent leurs connaissances, une activité purement manuelle ne suffisant pas".

"3. Les activités proposées aux élèves par le maître sont organisées en séquences en vue d'une progression des apprentissages. Elles relèvent des programmes et laissent une large part à l'autonomie des élèves".

"5. Les enfants tiennent chacun un cahier d'expériences avec leurs mots à eux."

" 6. L'objectif majeur est une appropriation progressive, par les élèves, de concepts scientifiques et de techniques opératoires, accompagnées d'une consolidation de l'expression écrite et orale".

On comparera cette nouvelle approche aux objectifs et aux démarches proposées par les activités d'éveil scientifiques, assez peu différents.

L'originalité concerne peut-être la mobilisation de "la cité scientifique" au profit de cet apprentissage : accompagnement des partenaires scientifiques (Universités, laboratoires), ressources didactiques et pédagogiques des IUFM, site Internet au service de l'enseignant (http://www.inrp.fr/lamap) .

Il faut donc prendre un peu de recul.

L'important, dans toutes ces tentatives et cette répétition, c'est le FIL ROUGE.

Bien repérer les OBJECTIFS et donc de la continuité de la tâche, afin d'apprécier sereinement l'intérêt, la cohérence, et l'efficacité des MOYENS proposés. (Toute la recherche et l'innovation pédagogique en matière d'éducation scientifique, s'ordonnent et s'éclairent de ce point de vue.)

Pour restituer ce fil rouge, une question fondamentale : EDUQUER AUX SCIENCES, AUJOURD'HUI, C'EST QUOI ?

1) Eduquer aux sciences, c'est préparer (et accompagner) l'enfant à entrer dans LA PENSEE, LES DEMARCHES, LES PRATIQUES DES SCIENCES.

2) Eduquer aux sciences, c'est aussi préparer l'enfant, l'habitant de la planète Terre, le futur citoyen, à vivre dans UN UNIVERS, UN ENVIRONNEMENT TECHNIQUE, INDUSTRIEL, POLITIQUE, CULTUREL FACONNÉS DE PART EN PART PAR LES SCIENCES.

Sous l'objectif ÉDUQUER AUX SCIENCES, il faut donc distinguer deux perspectives :

a) La première est la problématique familière de L'EDUCATION SCIENTIFIQUE : attitudes, méthodes, savoirs, démarches, esprit et "valeurs" de la science.

b) La seconde celle, sans doute plus neuve, est celle de LA CULTURE SCIENTIFIQUE ET DE LA CITOYENNETÉ dans une société prise dans le développement des sciences et des techniques. Il ne s'agit plus seulement d'APPRENDRE LES SCIENCES ; nous devons APPRENDRE À VIVRE AVEC les sciences, maîtriser le développement des sciences et des techniques.

 

II. L'EDUCATION SCIENTIFIQUE. ECLAIRAGES EPISTEMOLOGIQUES.

1) Les ruptures nécessaires

En quoi consiste le "noyau dur" de la posture scientifique? Faire des sciences, qu'est-ce que cela recouvre?

a) UNE PENSEE, qui est mise en ordre par DES CONCEPTS, reconstruction intellectuelle (Expl. le concept de respiration, la théorie de l'évolution, le concept de masse, le concept de milieu intérieur, de programme génétique...);

b) UNE PRATIQUE, DES DEMARCHES : mise en ordre par des expérimentations, des montages. Toute expérience est une sorte de petite machine destinée à produire l'effet que l'on veut isoler, étudier, et dépend donc de l'ordre théorique.

c) UNE INTERROGATION, UN QUESTIONNEMENT. On sait bien que tout le talent et l'esprit scientifique est de poser les bonnes questions.

 

Or, sur ces trois plans, on peut situer LA DIFFICULTE MAJEURE DE L'EDUCATION SCIENTIFIQUE ET DE SES DEMARCHES : l'esprit scientifique, la connaissance scientifique, sont un esprit, une connaissance, UNE FACON DE PENSER ET DE FAIRE EN RUPTURES AVEC LA PENSEE ET L'ACTION ORDINAIRE, SPONTANEE, QUOTIDIENNE. Leurs formes de pensée, d'agir, d'interroger, de questionner rompent avec les façons de pensée, d'agir, d'interroger "naturelles". En effet :

 

La fameuse ALLEGORIE DE LA CAVERNE, dans PLATON, résume assez bien cela.

 

Il faut situer en fonction de cet objectif les propositions de la didactique des sciences. Ainsi de l'idée d'OBJECTIF-OBSTACLE, l'un des tout derniers concepts en usage sur le "marché" de la didactique. Que dit-il ?

On définira donc L'EDUCATION SCIENTIFIQUE comme suit : 

 

2) Les continuités pédagogiques

J'ai très volontairement un peu forcé le propos en mettant tout le poids de la science sur la rupture=85

On peut rétorquer à juste titre que s'ils n'existaient pas de continuités, alors nulle éducation scientifique serait possible !

Reste que POUR BIEN PRENDRE LA MESURE DE CE QUE DOIT ETRE UNE EDUCATION SCIENTIFIQUE, IL FAUT D'ABORD AVOIR PRIS CONSCIENCE DES RUPTURES QU'ELLE ENGAGE. (L'erreur de l'éveil, à mon sens, du moins tel qu'il a été souvent compris et pratiqué, a été de trop l'ignorer, malgré la lucidité de certains de ses promoteur, comme Victor HOST).

A partir de là, on peut tenter de préciser en quoi consiste à l'école l'initiation aux sciences, et envisager les continuités nécessaires elles aussi.

D'une formule : il s'agit dans les classes primaires, en partant des activités "spontanées", "naturelles", "premières" de l'enfant, de mettre en place DES PONTS, DES PASSAGES VERS la science, d'aménager DES GUÉS, de parier sur DES CONTINUITÉS SUBSTITUTIVES, et ceci en toute conscience des inévitables discontinuités.

Il s'agit donc de:

  

3) Trois objectifs, trois orientations pédagogiques

Ces considérations me conduisent à proposer d'organiser la pédagogie des sciences autour de trois grands axes, de lui fixer trois principales orientations

 

A cet égard, il faut faire à nouveau l'éloge de LA CLASSE LABORATOIRE.

 

(Cela a été le choix assumé dans les années 70/80 par ce qu'on appelait les "AES" (activités d'éveil scientifiques). Un propos demeuré emblématique me revient : celui de Victor HOST, qui a été à l'INRP le fer de lance de la pédagogie d'éveil appliquée aux sciences, rapportant le plaisir et l'étonnement des "scientifiques" pénétrant dans ces classes-là : un climat de travail, disaient-ils, évoquant celui de leurs labos. Certes, la classe laboratoire n'est pas le laboratoire. mais... Notez comment les scientifiques à nouveau convoqués au chevet de l'enseignement des sciences refont ce même constat ! Charpak, de Gennes et les autres.) 

 

Exemple 1 : les dessins d'une paire de ciseaux proposés par les enfants dans une classe -maternelle (4/5 ans), dont on soulignera la nature fonctionnelle, et l'esprit d'analyse dont ils témoignent:

Dessins type a : la paire de ciseaux est saisie comme "deux lames qui se croisent".

Dessins type b : l'idée cette fois porte sur "deux lames réunies, attachées".

 

Exemple 2 : les représentations "biologiques" du cœur humain, obtenues dans un CP/CE, dont on appréciera là encore la signification fonctionnelle symbolique, et non pas réaliste. Il s'agit non pas d'une image, mais bien d'un code, d'un codage, celui des battements cardiaques représentés par une succession de quatre cœurs comme les notes d'une portée de musique. Sous, dans le dessin enfantin, une pensée graphique est à l'œuvre, une écriture fonctionnelle exerçant des capacités d'abstraction et de généralisation.

 

III. LA CULTURE SCIENTIFIQUE, NOUVEL ENJEU EDUCATIF

Tant qu'il s'agissait de ce que j'ai appelé par commodité l'éducation scientifique, nous demeurions en pays très familier. Pédagogiquement et philosophiquement.

 

Philosophiquement, nous nous rattachions à la philosophie des Lumières : conviction de l'émancipation individuelle et collective par et dans la science, progrès de l'esprit et de la civilisation dans et par les conquêtes de la science, maîtrise technique et politique de notre destin grâce aux sciences.

 

Dans cette perspective, INSTRUIRE, transmettre le savoir scientifique, c'est aussitôt EDUQUER selon des VALEURS.

 

Ce message de CONDORCET vient jusqu'à nous et légitime l'éducation scientifique, parée de toutes les vertus de l'émancipation et de la citoyenneté éclairée.

 

Il en va différemment si j'envisage l'éducation aux sciences sous l'angle qu'il est convenu d'appeler culture scientifique. Nous envisageons alors les sciences non plus comme des disciplines, mais comme des faits de société et de culture

 

1) Les enjeux

C'est un chantier ouvert et neuf. On proposera ici quelques repères, en réfléchissant sur quelques faits qui paraissent bien souligner les nouveaux enjeux :

 

 

La Villette, Montbéliard, Arc-et-Senans, etc ... Pourquoi ces institutions ? Quelles significations ?

  

 

Que faut-il en penser? Que vise-t-elle? "SCIENCE OUVRE-TOI !", proclamait la Journée de la documentation scientifique et technique pour les jeunes organisée à Besançon en mai 1994. Que signifie cette demande ?

  

 

Que faut-il enseigner, en classe de sciences, et comment, leur demandait-on lors du colloque de janvier 1993 organisé par le Ministère de l'Education Nationale et de la Culture à La Villette ? Que faire "avec" les sciences ?

 

 

(On lira avec le plus grand profit l'article de Bruno Latour publié dans "Le Monde" du samedi 18 janvier 97.)

 

 

 

2 ) La culture scientifique existe-t-elle?

 

 

  

3) Conséquences

 

 

 

 

CONCLUSION : Quelle éducation pour quelle culture scientifique ? 

Telle est bien la question qu'il convient désormais de poser.

  

 

Il doit néanmoins être élargi aux perspectives ouvertes par l'exigence d'accès à la culture scientifique et aux nouvelles formes de la citoyenneté.

 

 

 

- en comblant le décalage entre la réalité vivante et prosaïque des sciences et leur image ;

 

- en favorisant la réappropriation critique de la rationalité scientifique;

 

- en montrant la science comme une entreprise, une production humaine et sociale (mettre fin au dogme de "L'Immaculée conception de la Science", comme le dit plaisamment Pierre THUILLIER !), historiquement et géographiquement située, comme un réseau social d'hommes et d'institutions, d'appareils, de capitaux, de flux d'informations ;

 

- en restituant à la pensée scientifique sa vraie dimension d'aventure, de spéculation, de tâtonnement, de risque. (Cf Dominique Lecourt Contre la peur, de la science à l'éthique une aventure infinie, Paris, Hachette, 1990).

  

  

  

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

G. CHARPAK, La main à la pâte. Les sciences à l'école primaire, Paris, Flammarion, 1996.

 

J.P. ASTOLFI et col., Comment les enfants apprennent les sciences, Paris, Retz, 1998.

 

M. COQUIDÉ-CANTOR et A. GIORDAN? L'enseignement scientifique à l'école maternelle, Nice, Z'éditions, 1997.

 

A. KERLAN, La science n'éduquera pas, Comte, Durkheim, le modèle introuvable, Berne, Peter Lang, 1998.