DEUXIEME PARTIE : LA NOTION DE "DISCIPLINE" ET LES SAVOIRS SCOLAIRES EN PERSPECTIVE.

 

LIRE - ECRIRE : LES DEFIS D'AUJOURD'HUI

 

 

INTRODUCTION

 

Deux documents témoins de l'entrée dans le monde de l'écrit chez l'enfant : découverte de la communication à distance, mais aussi du coût et de la complexité des codes.

 

Deux " vécus " :

- joie, plaisir, découverte d'un vrai pouvoir : une enfant de CP s'approprie la langue écrite comme moyen personnel de communiquer et d'agir :

"Papa, vien mangé cê prê" (sic !)

(Un message adressé au père et glissé sous la porte de son bureau)

 

- épreuve, monde touffus des normes et des codes. L'appropriation heureuse et signifiante bute cette fois sur la grammaire et l'orthographe, l'accès au pouvoir de la langue écrite ne "prend" pas :

"mas cher élène, je te remersi de la leitre. Je orreur de la grammair. Maman mas dit que tu ans faisais beaucoup. Tu est comletemet FOLLE. Sylvie" (sic !)

(Une lettre reçue par Hélène HUOT, et placée en exergue de son livre : Et voilà pourquoi ils ne savent pas lire, éditions Minerve, 1988)

 

 

Document complémentaire :

- l'échec scolaire selon MUCCHIELLI, ses conséquences pédagogiques et psychologiques. Les conséquences psychologiques entretiennent les difficultés pédagogiques et réciproquement (Cf. R. Mucchielli et A. Bourcier, La dyslexie, maladie du siècle ?, Paris ESF.)

On peut aussi évoquer les travaux de René ZAZZO sur l'image de soi chez l'enfant, fortement centrée sur le statut scolaire chez l'enfant de CP/CE. Si l'image de soi du jeune enfant de CP est tributaire de son statut scolaire, quelles conséquences aura l'échec ?

Echec en lecture

Troubles de la
scolarisation

Troubles de la
personnalité

Conditionnement scolaire négatif

Conduite de fuite

Indiscipline
Agitation

Complexe d'échec

Echec scolaire intellectuel généralisé

Sentiment de culpabilité

Sentiment d'infériotité
Dévalorisation du moi

Anxiété à expressions diverses

Recherches de punitions

Agressivité réactionnelle

Apathie et indifférence

D'après de Mucchielli

I. COMMENT LES ENFANTS APPRENNENT-ILS A LIRE ? REGARD SUR LES METHODES ET LES DEMARCHES 

 

1) Dix minutes d'apprentissage dans un CP.

Document audiovisuel CNDP " A l'école, comment les enfants apprennent à lire ", 1987.

Idée centrale : LIRE, C'EST CONSTRUIRE DU SENS.

 

2) Méthodique ou " naturel " ?

Document audiovisuel IUFM de Versailles " Apprendre à lire naturellement ". Echantillon d'une démarche inspirée de la pédagogie Freinet.

Méthode naturelle : méthode, ou nature ? Une formule d'allure contradictoire.

Qu'est-ce qu'une méthode ? Un chemin ( methodos ), une progression, un guide pour ne pas se perdre dans des répétitions sans profit de l'apprentissage par essais et erreurs.

MÉTHODE : NI HASARD NI TÂTONNEMENT, MAIS UN PROCÉDÉ ACCOMPAGNÉ DE SON PRINCIPE DE JUSTIFICATION RATIONNELLE.

En ce sens, la méthode…  naturelle est bien une méthode !

Pente et risque inhérent à la méthode : se substituer à l'apprenant.

Deux choses à retenir dans la perspective d'un apprentissage plus naturel de la langue écrite :

- laisser l'enfant dÉcouvrir l'écrit dans le prolongement de des capacités et de son expérience… sans tomber dans le spontanéisme.

- ORGANISER L'APPRENTISSAGE… sans étouffer sa dynamique.

 

3) Fondements scientifiques de l'apprentissage

- la psychologie de l'apprentissage

- la psychologie de l'enfant

- les nouvelles analyses de l'acte de lire :

* Lire, c'est interpréter une suite de mots et de phrases, saisir le sens d'un texte.

* Lire est une activité de construction de sens : éduquer avant tout l'attitude et l'activité de lecteur.

* Les présupposés des méthodes traditionnelles doivent être récusés (lesquelles accordaient priorité à la maîtrise de la combinatoire). L'existence de deux codes, idéo-graphique et grapho-phonétique.

* La démarche doit mener de front l'accès au sens et la découverte des constituants de la langue.

* Apprendre sur de vrais textes, des supports réels et variés. Diversité des situations de lecture. Diversité des activités de lecteur. Diversité des stratégies de lecture.

* Lecture et écriture, les deux faces d'une même pièce.

 

 

II. LIRE - ÉCRIRE : LES ENJEUX

Un apprentissage qui cristallise beaucoup de passions. Pourquoi ? Pourquoi les querelles et les guerres des méthodes ? 

  1. Pas seulement une compétence : un pouvoir

    Un savoir-faire " élémentaire "… mais aussi un pouvoir de maîtrise. Une compétence intellectuelle de grande portée politique. Lecture et émancipation. L'esprit des Lumières. Alphabétisation et libération.

    Un pouvoir qui est bien en jeu dès le début, dès le commencement de l'apprentissage.

    Un apprentissage authentique doit être pénétré, convaincu, conscient de ces dimensions libératrices.

    Comment être pénétré de cette consciences des enjeux, de cette conviction ? Il faut sans doute que le maître chaque fois re-découvre ce pouvoir de l'écrit à travers les yeux et l'expérience de l'enfant. Ce n'est sans doute pas chose aisée ; ici l'éducateur a besoin de la dynamique et de la nouveauté de l'enfance toujours renouvelée pour éduquer pleinement. Il faut dire de chaque enfant qui apprend à lire ce que Itard disait de Victor de l'Aveyron : chaque fois qu'il fait quelque chose, c'est vraiment la première fois !

    La querelle des méthodes : un sentiment plus ou moins explicite de ces enjeux ?

    Le choix d'une méthode doit donc être un choix éclairé, et pas seulement une commodité technique. Il enveloppe une philosophie éducative. Pratique # Technique.

      

  2. Une éducation intellectuelle

Vous ne devez pas lâcher vos écoliers, vous ne devez pas, si je puis dire, les appliquer à autre chose tant qu'ils ne seront point par la lecture aisée en relation familière avec la pensée humaine ". Jean JAURES, cité par Gaston MIALARET, L'apprentissage de la lecture, Paris, PUF, 1975, p.10.)

Savoir lire - écrire, c'est :

- un nouveau moyen de communication

- un élargissement des horizons intellectuels et de l'univers. (Un témoignage de cette conquête chez l'enfant dans le roman de S. MILHAUSER, La vie trop brève d'Edwin Mulhouse, Albin Michel, p. 153 sq. Cf. ci-dessous Annexe 1.)

- une entrée dans le monde des idées, des concepts, du sens. Une mise à distance. Voir la conception de ALAIN (Propos sur l'éducation n° 38. Cf. Annexe 2).

- La capacité de juger, de faire preuve d'esprit critique. Cf. Jean GUEHENNO, extrait d'une conférence prononcée à l'UNESCO en 1950, cité par Gaston MIALARET, Op.Cit., p.11 :

"Savoir lire, écrire et compter, la preuve est faite que décidément cela ne suffit pas. Bien mieux on se demande si cette sorte de demi-culture, d'une certaine façon, ne prépare pas des dupes et de plus faciles esclaves... Que vérifions-nous tous les jours ? C'est, hélas, que ces hommes à qui on a seulement appris à lire, à écrire et à compter peuvent n'être que de meilleurs esclaves, et il est sans doute plus difficile encore de défendre les hommes contre la demi-culture que contre l'ignorance. C'est qu'il y a lire et lire. Lire n'est rien, si ce n'est savoir distinguer sur un papier imprimé le mensonge de la vérité et reconnaître les secrètes et insidieuses combinaisons qu'ils peuvent parfois former ensemble... Apprendre à lire aux gens pour qu'ils se confient au premier papier imprimé n'est que les préparer à un nouvel esclavage... Lire devient le moyen du plus affreux enrégimentement, et certaine manière vaniteuse de savoir lire arrête en quelque sorte la pensée. "

Un propos qui vient en écho à l'affirmation de CONDORCET, selon laquelle le savoir lire, en absence d'esprit critique, maintient dans l'ignorance et la dépendance au lieu de libérer (Troisième mémoire sur l'instruction publique (1791), éditions Edilig, p. 169. Cf. Annexe 3).

- Une nourriture pour l'imaginaire et la créativité de la personne. La notion de " créativité " selon WINNICOTT dans Jeu et Réalité (Gallimard) est ici assez convaincante. Selon ce psychanalyste, la créativité est moins une capacité de production (d'œuvres, etc. ) qu'une attitude en face du monde, une manière "d'être là", d'être au monde qui font que le monde existe pleinement.

Les réflexions d'un lecteur hors du commun, Marcel PROUST (" Sur la lecture ", éditions Actes Sud) peuvent aussi nourrir la réflexion de l'éducateur. La lecture plaisir, la lecture joie, la lecture célébration, voilà ce dont nous entretient l'auteur. On peut y voir un programme éducatif !

 

EN FIN DE COMPTE APPRENDRE ET ENSEIGNER A LIRE C'EST FORMER ET EDUQUER L'INTELLIGENCE :

- Parce que dans l'écrit sont engagés les procédés les plus généraux de la pensée ;

- Parce qu'il y a des liens essentiels entre la lecture et la pensée ou la démarche scientifique.

 

IL FAUT DONC VEILLER A CE QUE LES METHODES SOIENT A LA HAUTEUR DES OBJECTIFS !

On fera dans cette perspective la critique d'un certain usage " non émancipateur " des manuels scolaires. Trop souvent ceux-ci ne sont même pas la "propriété" de l'enfant, leur usage est constamment soumis aux commandes du maître, ils sont alors réduits à un recueil de fiches d'exercices qui soumettent l'enfant à la volonté enseignante, au lieu de lui ouvrir les portes de l'univers : où est alors le sens de l'émancipation ?

 

III. L'ENFANT ET LA LECTURE

1) Les différences initiales

Un apprentissage complexe. Se débarrasser de l'idée qu'il est "facile" d'apprendre à lire

Des enjeux pas seulement " didactiques " mais aussi psychologiques.

Des enjeux pas seulement psychologiques mais aussi et fondamentalement sociaux :

- la langue et la distance sociale à la culture scolaire.

- Fonction sociale du langage.

- Fonction socialisante et personnalisante.

(Cf. GFEN, Pour une autre pédagogie de la lecture, Paris, Casterman, 1976, p.18/19, et M.E.N., Maîtrise de la langue à l'école, CNDP, p.117/119).

 

2) Aux sources du goût de lire

Seule motivation durable : le plaisir

Découvrir le goût de lire, le cultiver, le préparer, l'entretenir, l'encourager.

Qu'est-ce que le goût de lire et d'où vient-il ? Comment l'encourager ?

Le point de vue d'un pédopsychiatre, René DIATKINE (Cf GFEN, Pour une autre pédagogie de la lecture, p.33/39) :

- Trois groupes d'enfants.
a) "Le premier groupe comprend les enfants apprenant facilement la langue écrite, et en tout cas sachant lire rapidement. Il est important de constater que le plus souvent, quelle que soit la méthode utilisée, ces enfants ont acquis la lecture entant qu'activité globale avant que le maître leur ait tout enseigné" (p. 34).

b) "Un deuxième groupe est constitué par les enfants qui suivent à peu près, mais chez qui ce processus de généralisation ne se produit pas. Pour eux, on est obligé d'aller jusqu'au bout de la méthode, et, bien souvent, ces enfants ont tendance à oublier ce qu'ils ont appris au début quand on arrive à la fin. Il faut alors recommencer. Cette répétition est d'ailleurs relativement efficace" (Idem).

c) "Enfin un troisième groupe est constitué d'enfants ne faisant aucune acquisition de la langue écrite au cours de la première année d'école élémentaire…". On y trouve selon Diatkine les enfants vivant dans des conditions particulièrement difficiles, ceux qui appartiennent à des familles "n'ayant aucune dimension culturelle commune avec l'école", un certain nombre d'enfants "posant des problèmes psychopathologiques divers".

 

- Une différence qualitative et pas seulement quantitative sépare ces trois groupes : formés tôt, ces groupes sont très stables ; et ils laisseront place chez les adultes à une répartition plus tranchée : les lecteurs et les non-lecteurs. A quelques exceptions significatives (cf p. 36), "les lecteurs se recrutent presque exclusivement dans le groupe des enfants qui ont appris à lire vite au début de leur scolarité".

- Le goût de lire n'est pas la " conséquence " de l'apprentissage réussi.

- Il se joue dans le rapport très précoce de plaisir pris avec la langue : l'accès à la langue-récit et le plaisir de l'imaginaire.

- Conclusion : ne pas réduire la valeur du langage à celle d'un moyen de communication, mais prendre en compte sa dimension et son bénéfice imaginaires.

 

Rôle essentiel de l'école maternelle à cet égard .

 

3) La dynamique de l'apprentissage

(Cf. GFEN, " Un enfant apprend, mais quel enfant ? ", in Pour une autre pédagogie de la lecture, p.60 sq.)

- Apprendre, c'est l'acte du sujet.

- Un enfant y découvre un nouvel objet culturel. Il apprend à se l'approprier par une double prise : lire - écrire.

- L'apprentissage doit être pensé dans la dynamique du développement de l'enfant : une activité transformatrice (manipuler, explorer, répéter), soutenue par un désir et un " espace de vie " suffisant.

- Penser la lecture comme entrée dans une " autre " culture.

 

CONCLUSIONS

 

Eviter la mécanisation de l'apprentissage pour en préserver le sens, la force émancipatrice. Et pour cela ne jamais perdre de vue ses finalités éducatives.

Ne pas oublier qu'avant d'entrer dans le monde de l'Écrit, l'enfant habite le monde de la Parole et du Corps. Une façon d'être au monde et aux autres.

Se souvenir que l'Écrit ne peut être réduit à la transcription de l'oral, qu'il a une signification anthropologique. Traces et inscriptions.

Réactualiser les pouvoirs de l'écrit et les valeurs de l'alphabétisation. Par où passe aujourd'hui la liberté intellectuelle et politique que les Lumières avaient mise dans l'accès à la lecture ?

 

* * *

 

Un dossier complémentaire à ouvrir : l'image contre le livre ? L'audio-visuel contre l'écrit ? Cette réflexion doit aujourd'hui absolument être conduite…

 

 

Annexe 1.

 

"L'année scolaire avançant, Edwin s'aperçut qu'il surgissait des mots de toutes parts autour de lui. Il en poussait plein sur la table au petit déjeuner - sur les boîtes de céréales, sur les fioles de vitamines, sur les flacons de saccharine. Il trouva des dizaines de mots sur le chemin de l'école: BENJAMIN STREET, JORDAN AVENUE, A VENDRE, STOP, VINCENT CAPOBIANCO, BUZZY AIME SUE, MARIE MÈRE DE DIEU, OLDSMOBILE, MOBILOIL, et, bien sûr, son panneau préféré, qui le faisait penser à l'attaque de la diligence et au masque de tigre en carton : ATTENTION ENFANTS. Il y avait des mots sur les boîtes de puzzles, des mots sur les cartons de diapositives pour stéréoscope, des mots sur ses boîtes de peinture, des mots sur ses cahiers à colorier, des mots sur sa balle en caoutchouc rose, des mots sur sa balle de tennis, des mots sur son damier, des mots sur l'ampoule électrique, des mots sur l'interrupteur, des mots sur son oreiller. Sur un seul penny, que lut Mr. Mullhouse, il y avait les MOTS LIBERTY, IN GOD WE TRUST, ONE CENT, UNITED STATES OF AMERICA, et E PLURIBUS UNUM, que même Mrs. Mullhouse ne comprenait pas. Sur le fourreau en papier d'une seule craie de couleur, il y avait les MOTS COPPER, BINNEY & SMITH INC., NEW YORK, MADE IN U.S.A. Il y avait des mots dans les éléments de la cuisine, des mots dans l'armoire à pharmacie, des mots dans les placards, des mots dans tous les tiroirs. Il en poussait sur les crayons, sur les lampes, sur les horloges, sur les sacs en papier, sur les boîtes en carton, sur les balais à tapis, sur les pôles en laiton des prises de courant, sous les assiettes, et sur le dos des petites cuillères. Il en poussait dans ses tennis, dans ses slips, à l'intérieur de sa chemise derrière sa nuque. Il en poussait même sur la pelouse; sur la balancelle blanche, sur le couvercle des poubelles, sur la vanne à mazout qui dépassait du gazon devant la maison; et un beau jour de printemps, il regarda en l'air et vit un avion qui écrivait des mots dans le ciel. Et comme avec le passage de l'hiver au printemps, Edwin était passé de l'abécédaire au premier livre de lecture, c'était comme si la saison même bourgeonnait et fleurissait en mots."

S. MILHAUSER, La vie trop brève d'Edwin Mulhouse, Albin Michel, p. 153/154

 

 

Annexe 2.

 

"Le problème de la lecture courante est admirable et difficile. Tant qu'il n'est point résolu, ne distinguez pas entre ceux qui savent lire et ceux qui ne le savent point. La lecture qui ânonne ne sert à rien. Tant que l'esprit est occupé à former les mots, il laisse échapper l'idée. Ces affiches lumineuses où la phrase semble sortir d'un trou comme un serpent, pour se précipiter aussitôt dans un autre, ce sont des leçons neuves et excellentes. On dit que nous vivons maintenant dans la vitesse, et emportés au train des machines. N'exagérons pas; la promenade du dimanche se fait toujours du même pas; et il ne manque pas de flâneurs, de pêcheurs à la ligne, ni d'amateurs qui s'arrêtent pour un tableau ou pour un vieux meuble. Mais nous avons gagné ceci, defaire vite ce qui ne mérite point qu'on s'arrête. Epeler un écriteau, cela est ridicule; il faut le saisir d'un regard; et la plus grande partie d'un journal doit être saisie à la course. Les titres, et quelques mots d'importance, cela suffit bien. Bref, il faut savoir lire l'imprimé comme le musicien exercé lit la musique.

Nous en sommes restés au temps où l'on se lisait à soi-même, où l'on s'écoutait lisant. Mais cet orateur qui parle à soi pour se dire que la ville est à cinq kilomètres et que les Français jouent Andromaque, cet orateur n'est pas de ce temps-ci. Il ne sait point lire; et même s'il lit le journal à haute voix et pour d'autres, je ne suis pas assuré qu'il comprend ce qu'il dit, assez occupé de faire correspondre les sons aux signes."

ALAIN, Propos sur l'éducation, n° 38, PUF/Quadrige p. 96/97.

 

 

Annexe 3.

 

"Accoutumés à lire, habitués à des styles divers, ces accessoires nous amusent ou nous intéressent, nous rebutent ou nous ennuient, mais ne nous empêchent pas de saisir l'enveloppe qui la couvre, la proposition qu'on veut faire entendre. Il n'en est pas de même de ceux qui n'ont pas cette habitude. Il ne serait pas difficile de faire un récit purement allégorique où, changeant les noms, dénaturant les événements, faisant agir des êtres imaginaires, supposant des faits chimériques, on aurait cependant écrit une histoire réelle très-claire pour un certain nombre de personnes, mais absolument inintelligible pour tous les autres ou plutôt leur présentant, soit un conte, soit (pourvu merveilleux y ait été ménagé) une histoire absolument disparate. Or, ce double sens, si sensible dans cet exemple, n'est pas moins réel dans la plupart des livres. Il existe entre les hommes dont l'esprit est exercé et les autres, la même différence qu'entre ceux qui ont ou qui n'ont pas la clef de l'allégorie. Comment donc s'instruire dans les livres, si on n'a pas appris à les bien entendre ?

Les éléments très simples de ce qu'on appelle critique ne sont pas moins nécessaires ; il faut distinguer les caractères et les degrés de l'autorité que donne aux faits ou le genre des livres qui les renferment, ou le nom des auteurs, et le ton de l'ouvrage, ou, enfin, la nature même de ces faits ; il faut savoir se décider entre les témoignages opposés, et pouvoir reconnaître quand l'accord de ces témoignages devient un signe de vérité.

Le premier mouvement des hommes est de prendre littéralement et de croire tout ce qu'ils lisent comme tout ce qu'ils entendent. Plus celui qui n'a pas appris à se défendre de ce mouvement lira de livres, plus il deviendra ignoant ; car on ne sait que des vérités, et toute erreur est ignorance. La lecture n'apprendrait rien à un homme armé d'une défiance aveugle ; celui, au contraire, qui, résistant à cette impression, n'admet que ce qui est prouvé, et demeure dans le doute sur tout le reste, ne trouvera dans les livres que des vérités".

CONDORCET, Troisième mémoire sur l'instruction publique (1791), éditions Edilig, p. 169.