THÈMES ET FIGURES DE L'ÉDUCATION NOUVELLE

 

  

 

I. ORIGINES ET FONDEMENTS

 

1) Fin 19ème, début 20ème siècle : un important mouvement éducatif européen, occidental, qui met profondément en cause la pensée et la pratique pédagogiques établies.

 

Un mouvement nouveau, qui traversera le siècle, et aura provoqué des transformations majeures dans les idées et les pratiques pédagogiques. (Savoir s'il a "réussi" ou "échoué", c'est une autre affaire …).

 

Un mouvement dont les propos et les objectifs illustrent exemplairement la nature critique de toute doctrine pédagogique, comme l'avait bien vu Durkheim :

Leur objectif n'est pas de décrire ou d'expliquer ce qui est ou ce qui a été, mais de déterminer ce qui doit être. Elles ne sont pas orientées vers le présent, ni vers le passé, mais vers l'avenir. Elles ne se proposent pas d'expliquer fidèlement des réalités données, mais d'édicter des préceptes de conduite. Elles ne nous disent pas : voilà ce qui existe et quel en est le pourquoi, mais voilà ce qu'il faut faire. ( …) Presque tous les grand pédagogues, Rabelais, Montaigne, Rousseau, Pestalozzi, sont des esprits révolutionnaires, insurgés contre les usages de leurs contemporains ".

"Nature et méthode de la pédagogie"(1911),

in Éducation et sociologie (pp. 85/86 édition Alcan)

 

2) Aux sources de cette "révolution", une triple racine :

 

- a) La place désormais prépondérante de la science, et notamment de la science de l'éducation naissante. Autour de 1880, s'affirme chez plusieurs auteurs la nécessité de dépasser la tradition, qualifiée d'empirique et de routinière, et de fonder la pédagogie sur la science.

 

On trouve une formulation significative de cette idée dans l'article "Pédagogie" du Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire (1888), sous la plume de Henri Marion.

 

La psychologie devient alors la science toute désignée pour fonder rationnellement la pédagogie. La pédagogie doit être une pédagogie appliquée.

Cf. Édouard CLAPAREDE "Pourquoi les sciences de l'éducation ?" (article de 1912).

 

- b) Seconde source, de nature politique : le projet de réforme de la société par l'éducation.

 

Cette dimension est particulièrement visible dans la seconde vague du mouvement de l'éducation nouvelle, après la Première Guerre Mondiale.

 

Après l'effroyable hécatombe, sous la bannière de l'éducation nouvelle s'exprime la volonté de réformer l'éducation pour assurer le salut de l'humanité. Espérance d'un nouveau type d'homme, d'une éducation capable de supprimer dans leurs racines sociales et humaines les causes de la guerre. (On ne s'étonnera pas que ces éducateurs aient cru trouver en Rousseau leur maître).

 

- c) Une troisième source ne doit pas être négligée : le mouvement est aussi traversé d'une inspiration spiritualiste et religieuse.

 

C'est bien Maria MONTESSORI qui écrit :

"Lorsque l'on découvre les lois du développement de l'enfant, l'on découvre l'esprit et la sagesse de Dieu qui agit dans l'enfant".

 

Et aussi :

"Les problèmes de l'éducation doivent trouver leur solution en raison de l'existence des lois de l'ordre cosmique".

 

Et c'est bien Adolphe FERRIERE qui voit à l'œuvre dans toute éducation une ascension vers l'Esprit.

Pour ne rien dire de la pédagogie expressément théosophique de Rudolph STEINER !

 

Il faut donc prendre en considération ces trois sources pour étudier les principaux thèmes de la pédagogie nouvelle. Elles en expliquent souvent le caractère.

 

- Ainsi du thème de l'enfance, et de la fameuse révolution copernicienne, comme on peut en juger à la lecture de ce texte de COUSINET :

L'éducation nouvelle consiste vraiment en une attitude nouvelle vis-à-vis de l'enfant. Attitude faite de compréhension, d'amour (comme aussi bien fut celle d'un Pestalozzi), mais surtout attitude de respect. Attitude d'attente, de patience, attitude de la main délicate qui n'ose ni ouvrir un bouton de fleur, ni déranger le bébé au cours de ses premières expériences, ni aussi bien l'écolier au cours de ses premiers travaux. Attitude d'acceptation de l'enfance comme une période nécessaire dans le développement de l'homme. Indulgence, plus qu'indulgence, admission des erreurs de l'enfant, de ses faux pas, de ses hésitations, de ses lenteurs. Désir souvent passionné de satisfaire ses besoins propres, même si la société doit attendre quelque peu pour que soient satisfaits les siens ".

L'éducation nouvelle, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968 (2ème édition), p.22-23.

 

3) L'éducation nouvelle, c'est aussi une constellation de pédagogues assez divers : 

Des pédagogues, et des philosophes, mais aussi (surtout ?) des psychologues, des médecins …

 

Un "grand ancêtre" est revendiqué : Jean-Jacques ROUSSEAU. La filiation passe par Henri PESTALOZZI (1746 - 1827), qui avait tenté de mettre en œuvre les idées de Rousseau.

 

4) C'est aussi un mouvement "organisé", lié à la fois au développement de la psychologie de l'enfant et à l'histoire de la société.

 

 

5) Le point commun : la volonté de rompre avec la pratique et l'esprit de l'éducation traditionnelle.

 

C'est le point de rencontre de conceptions en fin de compte assez diverses.

 

Il est systématiquement exprimé dans ce texte de FREINET :

"Il y a entre les Méthodes traditionnelles et nos Méthodes naturelles une différence fondamentale de principe, sans la compréhension de laquelle toutes appréciations seraient toujours injustes et erronées : les méthodes traditionnelles sont spécifiquement scolaires, créées, expérimentées et plus ou moins mises au point pour un milieu scolaire qui a ses buts, ses modes de vie et de travail, sa morale et ses lois, différents des buts, des modes de vie et de travail du milieu non scolaire et que nous appellerons milieu vivant. 

C'est l'existence même de ce milieu scolaire tel qu'il est que nous jugeons irrationnel, retardataire, dangereusement décalé par rapport au milieu social et vivant contemporain et impuissant, de ce fait, à faciliter et à préparer l'éducation bien comprise qui formera en l'enfant l'homme de demain, conscient de ses droits, mais capable aussi de remplir ses devoirs dans le monde qu'il doit construire et dominer".

"Méthodes naturelles et méthodes traditionnelles", in La méthode Naturelle, Éditions Marabout, p. 28.

 

Ou encore dans cet extrait de Expérience et éducation de J. DEWEY :

"Si l'on essaie de dégager la philosophie impliquée dans les pratiques de l'éducation nouvelle, on peut, me semble-t-il, discerner certains principes communs à toutes les écoles progressives existantes, en dépit de leur diversité. A ce qui s'impose du dehors, on oppose l'expression de la culture de la personnalité ; à la discipline externe, l'activité libre ; à l'enseignement qui procède des manuels et des livres, celui de l'expérience ; à l'acquisition d'aptitudes particulières obtenues par dressage, celles qui permettent l'accomplissement de fins liées aux tendances profondes ; à la préparation d'un avenir plus ou moins éloigné, la saisie intégrale des possibilités qu'offre le présent ; aux buts et à la manière statiques des programmes, le commerce avec le monde en perpétuel changement".

Expérience et éducation (1939) Armand Colin, Paris, 1968, p. 60.

 

Ce texte est fondé sur une série d'oppositions systématiques, un système d'oppositions construit dans une visée polémique, stratégique : 

 

ÉDUCATION TRADITIONNELLE

 

ÉDUCATION NOUVELLE

 

Culture imposée du dehors

 

Discipline externe

 

Manuels

 

Dressage

 

À-venir

 

Programmes statiques

 

Expression du dedans (personnalité)

 

Activité libre

 

Expérience

 

Accomplissement

 

Présent

 

Monde réel et mouvant

6) Les doctrines de l'éducation nouvelle se rencontrent en trois points de basculement de la pédagogie :

- La conception de l'enfance et des buts de l'éducation

- La conception de l'école (l'institution scolaire)

- La conception du rôle de l'éducateur

II. LA DÉCOUVERTE DE L'ENFANCE

 

1) L'enfance est un état réel et authentique

Et non pas une simple voie d'accès à l'état adulte, une condition subalterne dont il faudrait se débarrasser.

Sortir du pessimisme de la pensée classique.

Une découverte dont l'éducation nouvelle accorde la paternité à Rousseau.

Rousseau "affirme que l'enfance n'est pas du tout une voie d'accès, une préparation, mais qu'elle a une valeur en soi, une valeur positive, et qu'on doit non maintenir les yeux de l'enfant fixés sur l'issue de cette voie et le guider pour qu'il en sorte le plus tôt possible, mais au contraire lui permettre d'y séjourner le plus longtemps possible. Voilà la nouveauté pédagogique à laquelle Claparède a pu donner sans exagération le nom de " révolution copernicienne ". Voilà l'idée maîtresse qui domine toute la pédagogie nouvelle, qui la distingue radicalement de toute l'ancienne. Jusqu'à Rousseau l'éducation consiste à préparer l'enfant à devenir adulte; avec Rousseau l'éducation consiste à l'empêcher de devenir (trop tôt) un adulte. Il faut que l'enfance, du premier âge à la puberté au moins, s'accomplisse, parvienne à sa maturité, parce qu'il y a " une maturité de l'enfance"; il faut que, puisque nous considérons comme l'adulte idéal l'homme fait, nous admettions que l'enfant idéal est "l'enfant fait". Quand nous lui aurons permis de se faire, d'être fait en tant qu'enfant, alors, mais alors seulement, nous pourrons examiner le problème de son passage à un stade ultérieur, et de la meilleure manière dont peut s'effectuer ce passage".

Roger COUSINET, L'éducation nouvelle, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968, pp.27/28

 

Après Rousseau, l'éducation nouvelle découvre la valeur fonctionnelle de l'enfance.

"J.-J. Rousseau est certainement le premier qu'ait préoccupé la question du pourquoi de l'enfance, et il en a même donné une réponse si satisfaisante que celles que l'on propose aujourd'hui ne font guère que développer, préciser, grâce aux lumières nouvelles de la science contemporaine, l'esquisse que, dans une extraordinaire intuition de génie, il avait tracée d'une main si sûre.

" On se plaint de l'état de l'enfance; on ne voit pas que la race eût péri si l'homme n'eût commencé par être enfant ", déclare-t-il tout d'abord. Et cette déclaration, notons-le bien, n'est pas une simple remarque lancée incidemment; elle figure à la première page de l'Émile. C'est sur elle et sur d'autres analogues que va reposer tout son système éducatif. Rousseau a fort bien compris que prendre une attitude à l'égard de l'enfance, s'enquérir de la valeur de l'enfance, est le premier devoir d'un éducateur soucieux. Tout le sens que l'on va donner à l'éducation ne dépend-il pas de la signification positive ou négative que l'on attribue à l'enfance ? Or Rousseau prend immédiatement position; il en tient pour la solution positive : sans l'état d'enfance, la race eût péri. Cette simple remarque, d'apparence bien pacifique, est grosse pourtant de toute la révolution que l'Émile va déchaîner dans le monde de la pédagogie. Car elle suscite immédiatement une question que l'éducateur ne pourra plus ne pas se poser, et qui va le conduire fort loin. Si la race eût péri sans l'état d'enfance, c'est que l'enfance est utile. En quoi alors est-elle utile ? L'enfance n'est donc pas cet état d'imperfection qu'il faut s'efforcer de corriger au plus tôt ? L'enfance serait donc un bien et non un mal nécessaire ?"

Édouard CLAPAREDE, "Jean-Jacques Rousseau et la conception fonctionnelle de l'enfance",

In L'éducation fonctionnelle, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968, pp. 79/80.

 

IL y a bien en effet chez Rousseau une valeur propre de l'enfance :

(Là-dessus, voir Georges SNYDERS, La pédagogie aux 17ème et 18ème siècles, Paris, PUF)

 

L'enfance est donc pour l'humanité à la fois une dimension … et un modèle.

 

2) Une "révolution copernicienne"

La formule appartient à Claparède. Celui-ci n'hésite pas, dès 1905, à qualifier de "copernicien" le changement que selon lui la psychologie moderne impulsera : ce ne sera plus l'élève qui tournera autour du programme, mais le programme qui sera centré sur l'enfant.

 

"L'enfant est le point de départ, le centre, le but" (John Dewey).

 

"L'intérêt pour le gribouillage doit être mis en œuvre tout de suite, et il faut en tirer tout le bien possible sans tarder, sans s'occuper du fait que dans dix ans l'enfant aura à tenir des livres" (John Dewey).

 

Chez Roger Cousinet, la révolution conduit jusqu'à une sorte d'inversion de la relation éducative :

"L'éducation nouvelle n'est pas conditionnée par une plus juste connaissance de la psychologie de l'enfant et des travaux des psychologues, ni par le compte que la pédagogie doit tenir de ces travaux. Elle consiste vraiment en une attitude nouvelle vis-à-vis de l'enfant. Attitude faite de compréhension, d'amour (comme aussi bien fut celle d'un Pestalozzi), mais surtout attitude de respect. Attitude d'attente, de patience, attitude de la main délicate qui n'ose ni ouvrir un bouton de fleur ni déranger le bébé au cours de ses premières expériences, ni aussi bien l'écolier au cours de ses premiers travaux. Attitude d'acceptation de l'enfance en tant que telle, reconnaissance de la valeur de l'enfance comme une période nécessaire dans le développement de l'homme. Indulgence, plus qu'indulgence, admission des erreurs de l'enfant, de ses faux pas, de ses hésitations, de ses lenteurs. Désir souvent passionné de satisfaire ses besoins propres, même si la société doit attendre quelque peu pour que soient satisfaits les siens. Conviction que plus l'enfant est pleinement, longuement enfant, plus et mieux il deviendra un bon adulte. Affirmation que l'enfant vit de bonheur et dans le bonheur, qu'il doit être heureux, et que l'éducateur doit d'abord veiller à ce qu'il soit heureux, même si c'est aux dépens des fins éducatives qu'il vise; que nous, adultes, avons tout à gagner à laisser le plus longtemps possible l'enfant dans cet âge d'innocence première, et à nous baigner nous-mêmes aux sources de cette innocence, au lieu de vouloir à tout prix le former à notre image, qui ne mérite pas de servir de modèle. Conviction que l'enfant a en soi tout ce qui permet une vraie éducation, et en particulier une activité incessante, incessamment renouvelée, dans laquelle toute sa personne est engagée, l'activité d'un être en croissance, en développement continu, auquel, précisément pour cette raison, notre aide peut être utile, mais notre direction n'est pas nécessaire."

L'éducation nouvelle, pp. 22/23.

 

La conception de l'enfance - et la dignité qu'elle lui reconnaît - commande la conception de l'éducation. L'éducateur doit respecter la dignité de l'enfance, prendre l'enfance au sérieux.

 

L'éducateur doit prendre en charge la réalité présente de l'enfance, ses besoins et ses désirs actuels.

 

Il doit établir un rapport profond entre les motivations de l'enfant et les tâches scolaires.

 

On peut toutefois se demander si la notion de besoin, centrale dans l'éducation nouvelle, ne doit pas faire l'objet d'une nécessaire analyse critique. Ne confond-elle pas ce qui est de l'ordre de la nature et ce qui est de l'ordre de la culture ? Ne conduit-elle pas à "biologiser" les apprentissages ?

 

On peut s'interroger sur le sens et la portée de la valeur suprême accordée à l'enfance, "contre" l'adulte, comme chez Cousinet, affirmant "que nous, adultes, avons tout à gagner à laisser le plus longtemps possible l'enfant dans cet âge d'innocence première, et à nous baigner nous-mêmes aux sources de cette innocence, au lieu de vouloir à tout prix le former à notre image, quine mérite pas de servir de modèle".

 

N'est-il pas nécessaire, comme le pensait Hannah Arendt que les adultes assument la responsabilité du monde, pour permettre aux enfants, à l'enfant futur citoyen, de le critiquer ?

 

3) L'initiative : activité et liberté

 

L'éducation nouvelle s'identifie largement à "l'École active". La formule "l'école active" apparaît à la fin des années dix dans le discours pédagogique, et se répand en un laps de temps très bref.

 

A la base, l'idée que l'activité vraie exige l'exercice de l'autonomie :

 

Initiative, liberté, responsabilité sont des termes clés. Dans l'école active "tout, jusqu'au programme lui-même, doit émaner de l'initiative spontanée des élèves - initiative suggérée, orientée, précisée par le maître, cela va de soi" (Adolphe FERRIERE, dans L'éducateur du 26 novembre 1921. Cité Par Daniel HAMELINE, in L'École active, Textes fondateurs, Paris, PUF, col. Pédagogues Pédagogies, 1995).

 

On distinguera, en suivant Daniel Hameline, deux conceptions de l'enfant actif :

 

L'éducation nouvelle hésite entre ces deux conceptions qui sont deux anthropologies différentes.

 

III. L'ÉCOLE OUVERTE

La notion "d'école ouverte" est également associée étroitement à l'éducation nouvelle. La révolution copernicienne rompt la clôture instituée de l'école.

 

1) Pour réconcilier la culture (l'école) et la vie

 

2) Pour une socialisation au service de la démocratie

 

IV. LA FIGURE DU MAÎTRE

 

L'éducation nouvelle entend substituer l'apprentissage de l'écolier à l'enseignement du maître.

 

L'action de l'éducateur ne doit donc pas s'exercer sur l'enfant, mais sur le milieu. L'éducateur aménage le milieu en sorte que les intérêts de l'enfant puissent s'exprimer et enclencher les apprentissages actifs et motivés. C'est la connaissance des intérêts de l'enfant qui permet d'aménager un milieu réellement éducatif .

 

La démarche suppose le respect de la spontanéité de l'enfant. Il faut organiser le milieu en sorte que l'enfant progresse par son propre élan.

 

Le maître, la fonction magistrale ont-ils "disparu" ? Ou bien ne se sont-ils pas déplacés, "dissimulés" dans le milieu et le matériel pédagogique ? C'est la thèse que développe Georges SNYDERS dans La pédagogie progressiste (Paris, PUF, 1971).

 

La pédagogie développée par Maria MONTESSORI est bien l'exemple d'un transfert des pouvoirs magistraux au matériel pédagogique : 

"Le matériel n'est pas une aide pour faire comprendre ce qu'explique le maître, le matériel est vraiment une substitution au maître enseignant" (Maria Montessori, Les étapes de l'éducation).

 

CONCLUSIONS

 

L'éducation nouvelle s'est elle-même définie stratégiquement dans une opposition systématique à l'éducation traditionnelle (Cf. Clermont GAUTHIER et Maurice TARDIF (sous la direction de), La pédagogie, Théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours, Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 1996, tableau 6.3, pp.149/150) :

L'opposition entre la pédagogie traditionnelle et la pédagogie nouvelle

(d'après les partisans de la pédagogie nouvelle)

Caractéristiques
Pédagogie traditionnelle
Pédagogie nouvelle
Terminologie

- Pédagogie traditionnelle
- Pédagogie fermée et formelle
- Approche mécanique
- Pédagogie encyclopédique
- Enseignement dogmatique
- Pédagogie centrée sur l'école
N.B.: Plusieurs de ces expressions apparaissent entre 1917 et 1920

- Pédagogie nouvelle
- École active
- Éducation fonctionnelle
- École rénovée
- Approche organique
- Pédagogie ouverte et informelle
- École nouvelle (New School)
- Éducation puérocentrique (pédagogie centrée sur l'enfant)
N.B.: L'expression "École nouvelle" ("New School") apparaît en 1899 en Angleterre et en 1899 en France

Finalité de l'éducation

- Transmettre la culture "objective" aux générations montantes
- Former, mouler l'enfant
- Valeurs objectives (le Vrai, le Beau, le Bien)

- "Transmettre" la culture à partir des forces vives de l'enfant
- Permettre le développement des forces immanentes à l'enfant
- Valeurs subjectives, personnelles

Méthode

- Éduquer du "dehors" vers le "dedans"
- Point de départ : le système objectif de la culture que l'on découpe en parties à être assimilées
- Pédagogie de l'effort
- École passive (suivre le modèle)
- Encyclopédisme

- Éduquer du "dedans" vers le "dehors"
- Point de départ : le côté subjectif, personnel de l'enfant
- Pédagogie de l'intérêt
- École active (learning by doing)
- Éducation fonctionnelle

Conception de l'enfant

- L'enfant est comme de la cire molle
- L'enfance a peu de valeur par rapport à l'état adulte
- Il faut agir sur l'enfant
- L'intelligence est surtout visée
- L'enfant tourne autour d'un programme défini en dehors de lui

- L'enfant a des besoins, des intérêts, une énergie créatrice
- L'enfance a une valeur en elle-même
- L'enfant agit
- Il y a développement intégral de l'enfant
- Le programme gravite autour de l'enfant

Conception du programme

- Le contenu à enseigner aux enfants ne tient pas compte de leurs intérêts (culture objective)
- Le programme est idéaliste (contenu désincarné)

- Les intérêts des enfants déterminent le programme (structure et contenu)
- Le programme est réaliste (contenu lié au milieu dans lequel vit l'enfant)

Caractéristiques
Pédagogie traditionnelle
Pédagogie nouvelle
Auteurs représentatifs

Tradition dont les origines se perdent

Dewey, Kerschensteiner, Claparède, Decroly, Cousinet, Freinet, Montessori, Ferrière

Conception de l'école

Milieu artificiellement créé
- Retenue des émotions (distance)
- Là-bas, jadis
- Résolution de problèmes artificiels
- L'école prépare à l'avenir

Milieu naturel et social dans lequel s'écoule la vie de l'enfant (l'école comme milieu de vie)
- Spontanéité enfantine
- Ici et maintenant
- Résolutions de problèmes réels pour l'enfant
- L'école fait vivre à l'enfant ses propres problèmes

Rôle du maître

- Le maître dirige
- Le maître est au centre de l'action : il donne son savoir
- Le maître est actif : il fait l'exercice devant l'enfant ; il est le modèle à imiter

- Le maître guide, conseille, éveille l'enfant au savoir ; il est une personne-ressource
- L'enfant est au centre de l'action
- L'enfant s'exerce

Discipline

- Discipline autoritaire (extrinsèque à l'individu : récompenses : punitions)
- Discipline extérieure qui vise à contraindre

- Discipline personnelle (basée sur les intérêts intrinsèques)
- Discipline qui vient de l'intérieur

Type de pédagogie

- Pédagogie de l'objet : la culture à transmettre
- Pédagogie de l'ordre mécanique

- Pédagogie du sujet : la personne à développer
- Pédagogie de l'ordre spontané (naturel)

Tableau extrait de Clermont GAUTHIER et Maurice TARDIF (sous la direction de),
La pédagogie, Théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours, Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 1996

 

Toutefois, on ne peut se contenter d'enfermer la signification et la portée de l'éducation nouvelle dans ces oppositions trop simplificatrices.

 

Il s'agit d'un mouvement profond qui traverse le siècle, et n'est sans doute pas dissociable du mouvement des idées et de la société. Comme l'écrit Philippe RAYNAUD, "la pédagogie moderne est d'abord une des traductions les plus visibles de la logique de la démocratie moderne ; elle est centrée sur les besoins de l'individu" ("L'école de la démocratie", in Le débat, n° 64, mars-avril 1991, p. 42). En effet :

"La pédagogie moderne, telle qu'elle se développe de Peztalozzi à Piaget, repose sur ce qu'on peut appeler un " renversement copernicien " dans la définition des tâches de l'école : au lieu de partir des exigences abstraites ou externes de la société ou de l'école pour définir l'enseignement que l'on doit donner aux individus, on part des "besoins" de ces derniers pour créer un milieu éducatif où ils pourront réussir les " apprentissages" nécessaires à leur " développement " .

Philippe RAYNAUD et Paul THIBAUD,
La fin de l'école républicaine, Paris, Calmann-Levy, 1990,p.58.

 

Quoi qu'il en soit de ces interprétations, les doctrines de l'éducation nouvelle (comme toutes les doctrines éducatives) doivent être pensées dans toutes leurs dimensions : pédagogiques, mais aussi scientifiques, politiques, sociales, philosophiques, voire religieuses.

Un article de Sophie ERNST, sur le site de l'INRP, à propos de l'éducation nouvelle au Japon : Les pédagogies nouvelles, détour par l'école japonaise. Nouveauté et tradition, Article de S. Ernst initialement publié dans le Débat n° 106, septembre octobre 1999.