MARIA MONTESSORI : LE SERVICE DE L'ENFANCE

 

(1870 - 1952)

 

 

 

Une éducation pour le 21ème siècle ?

"Si une approche éducative stimulait les enfants sans faire appel à leur esprit de compétition ; si elle permettait d'apprendre à écrire ; à lire et à compter parfaitement en bas âge ; si elle ouvrait la porte à la découverte des lois qui régissent le monde ; si elle formait au respect, au travail, à la réflexion, à la discipline personnelle tout en soutenant les efforts de responsabilisation ; si cette approche atteignait ces objectifs dans un cadre essentiellement respectueux de l'enfant, ne serions-nous pas en présence d'une proposition enthousiasmante pour renouveler notre action éducative à l'aube du siècle ? C'est ce que réalise l'approche Montessori depuis 1907 , mais c'est seulement depuis une génération qu'on a entrevu tout son potentiel et qu'elle s'est mise à se développer partout sur la planète ou la démocratie régnait".

Benoît DUBUC, Maria Montessori : l'enfant et son éducation,
in Maurice TARDIF, La pédagogie, Théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours, sous la direction de Clermont Gauthier et Maurice Tardif, Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 1996, p. 158.

 

I. UNE ŒUVRE SINGULIERE ET UNIVERSELLE

 

1) Une place considérable dans le monde

 

Histoire d'un petit garçon de 4 ans émigré aux USA : entre Nice (en France) et les États-Unis, grande cohérence, grande concordance, car les règles d'organisation de l'école sont les mêmes.

 

Même environnement éducatif, même matériel pédagogique, même "conduite" pédagogique.

 

Des écoles partout dans le monde, notamment aux USA (plus de 4500 écoles Montessori), au Canada, en Amérique du Sud. Particulièrement dans le domaine éducatif de la petite enfance.

 

Implantation plus limitée en France , Belgique, Suisse.

 

En France, un autre nom, une autre figure est au cœur de l'école, de la petite école, de l'école maternelle : Pauline KERGOMARD. Cette particularité est liée à l'histoire de l'institution : l'école maternelle française appartient à l'école de la République, publique, laïque. Elle est la porte de la "grande école". D'où la place qui tient le langage. Il n'empêche que sa pédagogie doit aussi beaucoup à Maria Montessori.

 

 

2) Une vision grandiose de l'enfant et du développement humain

 

Une anecdote "édifiante", qui résume tout l'esprit de la pédagogie Montessori : sous la débilité présumée d'un enfant déficient, le témoignage d'une intelligence enfouie. Pour Montessori, ces enfants jouant machinalement avec des miettes de pain, relief d'un repas, dans une salle dénuée de tout matériel ou mobilier, ce jeu stéréotypé sont une preuve de "l'élan vital" qui les habite. A défaut d'environnement stimulant, ces enfants inventaient les activités répétitives et ordonnées, adaptées aux tendances profondes, aux besoins du développement.

 

Un sens aigu de l'observation, mais soutenu par une vision grandiose du développement humain. Une anthropologie de l'élan vital.

 

Dans l'enfant s'exprime la vie qui cherche son développement optimum ; l'enfant est le moteur de ce développement. L'éducation doit être une aide à ce mouvement de la vie en chaque enfant.

 

La pédagogie Montessori est donc bien une doctrine, au sens plein.

 

 

3) Un mouvement international visant la reconnaissance de l'enfant

 

Voilà ce qu'écrit Benoît DUBUC, pédagogue lui-même engagé dans le mouvement de l'école Montessori :

 

"Ce qui a débuté dans une banlieue pauvre de Rome est devenu un mouvement international visant la reconnaissance de l'enfant en tant qu'avenir de la personne humaine. A l'heure du questionnement, et des réformes en éducation, le message de Maria Montessori nous enjoignant de "suivre l'enfant comme notre guide", continue d'être très actuel. Le renouveau de l'éducation sans l'enfant comme moteur principal est voué à l'échec. Si nos sociétés veulent recentrer l'éducation dans sa nature véritable, elles devront redécouvrir le secret de l'enfance et bâtir à partir de l'enfant. C'est certainement le message que continue de nous communiquer cette grande dame. Il faudra s'approcher de la vie et puiser en notre âme de jardinier pour la cultiver à travers l'enfant. Ce ne seront pas nos systèmes, nos programmes ou nos institutions qui apporteront les solutions aux questions fondamentales de civilisation qui se posent, mais la vie et la personne de l'enfant, celui qui actuellement semble être le citoyen oublié. Maria Montessori nous invite, à travers toute son ŒUVRE, à trouver dans les yeux mêmes de l'enfant la motivation et la détermination nécessaires à la tâche d'éducation ".

 

Benoît DUBUC, Maria Montessori : l'enfant et son éducation,
in Maurice TARDIF, La pédagogie, Théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours, sous la direction de Clermont Gauthier et Maurice Tardif, Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 1996, p. 173.

 

II. LA VIE ET L'ŒUVRE

 

Née en 1870 en Italie, près d'Ancône.

Femme, médecin, psychiatre. Ses premiers travaux concernent l'éducation des "anormaux".

 

 

1) La révélation d'Itard

 

Pendant ses études, lit avec passion Jean ITARD et Edouard SEGUIN, et c'est une profonde révélation (Cf. cours sur Itard et l'enfant sauvage).

 

SEGUIN : Entre 1841 et 1843, Edouard Seguin, médecin, neurologue, éducateur, héritiers des observations et des expériences d'Itard, scolarise les enfants internés en asile psychiatrique, à Bicêtre. Il donne une forme scolaire, collective, progressive, aux activités qu'Itard avait inventé pour Victor. Quatre types, quatre secteurs d'activités sont mis en place :

  • exercices psychomoteurs gradués 
  • exercices sensoriels 
  • activités logiques, centrées sur ce que Piaget appellera les structures opératoires (classer, sérier), et pour lesquelles Seguin invente le matériel éducatif nécessaire
  • activités globales (atelier, jardinage)

 

 

2) L'éducation des déficients intellectuels

 

Maria. Montessori commence par prolonger cette pédagogie avec les déficients intellectuels, entre 1898 et 1900.

 

Avec un grand succès. Et sa notoriété va s'élargissant. On se déplace pour la visiter. Certains de ses "anormaux" parviennent au seuil de la lecture et de l'écriture. "Ces effets étonnants", écrit Montessori, "tenaient presque du miracle pour ceux qui les observaient. Mais, pour moi, les enfants de la maison des fous rattrapaient les enfants normaux aux examens publics parce qu'ils avaient été aidés dans leur développement psychique".

 

Maria Montessori en tirera la leçon pour l'école des petits : mettre en place une éducation mentale par des exercices d'apprentissage et de développement intellectuel qui ne demandent pas le savoir lire et le préparent.

 

 

3) La "Casa dei Bambini"

 

En 1907, Montessori prend la direction de la Casa dei Bambini (Maison des enfants), que la municipalité de Rome vient d'ouvrir. 120 enfants de milieux démunis. Pas d'autre personnel dans cette école que des aides maternelles. Comme en France, la maternelle, c'est d'abord historiquement l'école des pauvres, laissés à la rue parce que les parents sont requis à l'usine.

 

L'enfance se révèle alors pour Maria Montessori comme un problème social et humain. L'enfant lui apparaît comme un exclu, rien n'a été prévu pour lui dans la société adulte. Et pourtant, l'enfant est le père de l'homme, le constructeur de l'adulte !

 

L'école pour les petits que crée Montessori présente deux caractères essentiels :

  • C'est le lieu de l'enfance, du respect de l'enfance.
  • C'est un milieu organisé pour nourrir le développement, l'élan créateur d'ordinaire étouffé. Les activités éducatives sont inspirées d e l'expérience avec les déficients.

 

L'esprit du service de l'enfance est bien affirmé dans le premier chapitre de L'enfant , titré "La question sociale de l'enfant" :

 

"Un mouvement social se développe depuis quelques années déjà en faveur de l'enfant, sans avoir été organisé ni dirigé par aucun initiateur… Enfin, après trente années d'études, nous le considérons comme l'être humain oublié par la société, et plus encore par ceux-là même qui l'aiment, qui lui donnent et lui conservent la vie. Qu'est-ce que l'enfant? C'est le dérangeur de l'adulte fatigué par des occupations toujours plus pressantes. Il n'y a pas de place pour l'enfant dans la maison de plus en plus réduite de la ville moderne, où les familles s'entassent. Il n'y a pas de place pour lui dans les rues, parce que les véhicules se multiplient et que les trottoirs sont encombrés de gens pressés. Les adultes n'ont pas le temps de s'occuper de lui, quand la besogne est urgente… Voilà donc la situation de l'enfant qui vit dans l'ambiance de l'adulte: c'est un dérangeur qui cherche, et ne trouve rien pour lui; qui entre, mais qui est expulsé. Sa position est comme celle d'un homme sans droits civiques et sans ambiance propre: un extra-social, que tout le monde peut traiter sans respect, insulter, battre, punir, en exerçant un droit reçu de la nature: le droit de l'adulte… L'adulte, par un phénomène psychique mystérieux, a oublié de préparer une ambiance pour son enfant. Dans l'organisation sociale, il a oublié son fils. Dans l'élaboration des lois successives il a laissé son propre héritier sans lois et, par conséquent, hors la loi. Il l'a abandonné sans direction à l'instinct de tyrannie qui existe au fond de chaque cœur d'adulte."

Maria MONTESSORI, L'enfant, édition Gonthier-Denoël, p. 7/8.

 

 

4) L'expansion de la pédagogie Montessori

 

A partir de là, et pendant plus de 40 ans, l'œuvre, la méthode, l'institution crées par Montessori vont se répandre dans le monde entier. Ainsi elle prend une large part aux activités de l'UNESCO.

 

En 1929, Maria Montessori fonde l'Association Montessori internationale (AMI), vouée à la promotion de l'enfance et à son développement : à la fois le gardien d'une philosophie de l'enfance et le garant de l'orthodoxie, des moyens et du matériel éducatif au service du développement de l'enfant, de la formation des éducateurs Montessori. Il s'agit de défendre l'intégrité de l'approche philosophique ET didactique. Les méthodes, les outils didactiques ne doivent pas être dissociés de la finalité globale.

 

Maria Montessori connaîtra de nombreux exils. Elle quitte l'Italie de Mussolini pour l'Espagne, puis l'Angleterre. Assignée à résidence en Inde pendant la seconde guerre mondiale. L'un de ses derniers ouvrages, Education et paix, redit, face à l'horreur de la guerre, son espoir d'une régénération de l'humanité dans l'enfance.

 

Elle s'éteint en Hollande en 1952.

 

 

III. DE L'ENFANT NOUVEAU A L'EDUCATION NOUVELLE

 

1. L'enfance, part sacrifiée de l'humanité

 

Ce thème majeur fonde toute l'œuvre éducative de Maria Montessori. Derrière ce qu'elle appelle "la question sociale de l'enfant", elle aperçoit rien moins qu'une étape cruciale dans l'histoire de l'humanité. Ce qui est en jeu dans l'éducation, c'est la récupération, la reprise par l'humanité de sa part essentielle et pourtant sacrifiée, piétinée : l'enfance.

 

On lira le premier chapitre de L'enfant (1936) particulièrement les pages 10 à 12 (dans l'édition Gonthier Denoël) pour préciser les principaux éléments de cette thèse:

  • Le sort de l'enfance concerne la société et l'humanité entière 
  • La prise de conscience du sort de l'enfance marque une ère nouvelle de la civilisation
  • L'époque nouvelle comporte deux humanités, l'humanité adulte et l'humanité enfant, et doit donc organiser deux mondes, deux environnements
  • Elle demande un renouvellement en profondeur, dans sa vie intérieure, dans sa conscience, de l'humanité adulte ; elle entraînera un renouvellement de l'humanité dans et par l'enfance : "C'est là que s'élabore la création de l'homme" (p.11). Rédemption par l'enfance ?
  • Sauver l'enfance, c'est "conquérir le secret de l'humanité" et donc l'accomplir.
  • La méconnaissance et le rejet de l'enfance ont des racines profondes dans l'histoire de l'humanité et dans son inconscient.
  • La civilisation reposait jusqu'ici sur "un conflit universel, demeuré inconscient, entre adulte et enfant".

 

2) L'opposition enfant/adulte est profonde et "culturelle"

 

Elle est à son comble sous l'angle de leurs tâches respectives :

  • L'adulte est tourné vers le monde extérieur et fixe sa transformation comme le but de son travail : production, volonté, planification extérieure 
  • L'enfant entretient avec le monde une "relation d'absorption" qui vise à;le former intérieurement, à le structurer : pas de plan de travail extérieur imposé, mais des lois innées.
 

 

ADULTE

 

ENFANT

Monde extérieur

Transformation, travail

Production, planification extérieures

Monde intérieur

Absorption, formation intérieure

Lois innées

 

Quoi d'étonnant si l'éducation a été jusque là une erreur profonde ? Les soi-disant "défauts" habituellement imputés à l'enfant (caprice, désobéissance, inconstance, inattention, etc…) résultent d'une éducation inappropriée et destructrice.

 

 

3.Le progrès en éducation passe par le "désarmement" de l'adulte

 

Là est la clé de tout : jusqu'ici, une partie de l'humanité s'est érigée en maître dictatorial de l'autre. L'adulte réduisait l'enfant à l'obéissance passive, s'arrogeait le droit de le former selon des moules imposés.

 

"C'est dans cette lutte entre enfant et adulte, lutte résultant de l'assujettissement tyrannique de l'enfant, que Montessori voit la tare fondamentale de toute éducation à ce jour. En conséquence, la problème de toute réforme éducative consiste à surmonter cette lutte permanente".

Winfried BÖHM, "Maria Montessori",
in Jean HOUSSAYE, Quinze pédagogues, Paris, A. Colin, 1995, p. 157.

 

L'éducation pour Montessori sera d'abord, selon la formule de Winfried Böhm, "un programme de désarmement pédagogique".

 

On peut analyser ce thème en lisant un article de 1931, paru dans "La nouvelle Education", et reproduit dans Jean HOUSSAYE, Quinze pédagogues, Textes choisis, Paris, A. Colin, 1995, p. 146/153. Maria Montessori y affirme notamment que :

  • Les problèmes éducatifs ont leur origine dans le comportement des adultes : "L'adulte est cette énergie toute puissante qui domine l'enfant et l'empêche de se développer" (p. 148). 
  • C'est de la réforme de l'adulte que viendra la solution : "Le premier pas ne doit pas être fait vers l'enfant, mais vers l'adulte éducateur". Il faut :
    • - éclairer sa conscience
      - le défaire de ses idées préconçues
      - le rendre humble
      - lui apprendre une certaine "passivité" contre "l'activisme didactique"
      - changer ses attitudes morales

     

 

4. Le vrai travail éducatif

 

Après quoi, et après quoi seulement le vrai travail éducatif pourra commencer :

  • préparer pour l'enfant une ambiance, un environnement adapté
  • un environnement et une ambiance dépourvus d'obstacles
  • un environnement et une ambiance déterminés par les seuls besoins de l'enfant (par opposition au programme extérieur).

 

ALORS, L'ENFANT RETROUVERA DE LUI-MEME L'ELAN CREATEUR QUI LE PORTE, LE DROIT CHEMIN D'UNE EDUCATION ENFIN LIBRE DE SE DEPLOYER.

 

Il s'agit au fond d'arracher l'enfant à la pire des situations, celle que décrit Rousseau au tout début de l'Emile : celle d'une plante abandonnée au beau milieu du chemin et foulée de toutes parts. "Elle y serait comme un arbrisseau que le hasard fait naître au milieu d'un chemin, et que les passants font bientôt périr, en le heurtant de toutes parts, en le pliant dans tous les sens".

 

On notera que l'éducation de l'éducateur est alors plus que jamais décisive.

 

 

IV. PRINCIPES DE BASE DE LA PEDAGOGIE MONTESSORI

 

1) "Aide-moi à faire seul"

C'est la formule de base, le leitmotiv de la pédagogie Montessori. Il faut suivre l'enfant, vrai guide de l'éducation.

 

Fondamentalement, l'être humain se construit lui-même. C'est là le sens même de l'enfance, d'une conception fonctionnelle de l'enfance. L'adulte qui éduque est un accompagnateur : il doit accompagner l'enfant dans son effort de construction de soi. Et d'abord en levant les obstacles au déploiement de son élan créateur de soi, au travail de construction de soi-même.

 

Il s'agit bien d'un travail. C'est par l'effort et le travail sur soi, à partir de stimulations extérieures, sous la commande des tendances profondes de l'élan créateur, que nous pouvons devenir ce que nous sommes appelés à être.

 

 

 

2) "le plan de construction immanent"

 

Concept de base de la pédagogie Montessori. Chaque être vivant porte en lui son plan de développement, "un schéma préétabli par l'ordre naturel de la vie, le seul qui détermine le caractère des individus", affirme Montessori (Cf. Winfried Böhm, p. 153).

 

La liberté de l'enfant en éducation, c'est la libération des entraves qui empêchent le développement normal commandé par le plan de construction immanent. Chaque être dispose de forces cachées, enfouies :

 

"En réalité, l'enfant porte en soi dès l'origine la clef de son énigmatique existence individuelle. Il dispose d'un plan de structuration inné de son âme et de lignes directrices programmées pour son développement. Tout cela est d'abord extrêmement frêle et sensible et l'intervention intempestive de l'adulte, avec sa volonté et ses idées exagérées de la perfection de son autorité propre, peut anéantir ce plan ou en compromettre sa réalisation " (Maria Montessori, citée par Winfried Böhm, "Maria Montessori", in Jean HOUSSAYE, Quinze pédagogues, leur influence aujourd'hui, Paris, Armand Colin, 1994, p.154).

 

On notera ici l'importance et l'ambiguïté du concept de NATURE dans l'Education nouvelle, qui renvoie tout autant à la science qu'au divin, à l'espèce qu'à l'individu.

 

 

3) La concentration et l'attention

 

Tel est le but, la finalité de l'environnement et de l'ambiance que l'éducateur doit créer pour l'enfant : lui permettre la concentration de toute son attention, le rassemblement de tout son être dans sa trajectoire normale de développement. (On peut songer à l'enfant qui dessine pour s'en donner une image). Au lieu que l'éducation habituelle éparpille ses forces et ses énergies !

 

"La concentration constitue le vrai point de départ de l'auto-éducation spontanée et libre de l'enfant" (W. Böhm, p. 161).

 

La concentration en fin de compte aide à la mise en ordre dont l'enfant a besoin pour son activité de construction de soi. Cf. l'anecdote de "la dame au parapluie". Lors d'une visite à la Maison des enfants, une petite fille se fâche, parce qu'une dame n'a pas rangé son parapluie comme il convient ! "Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un caprice, mais plutôt d'une indication que le jeune enfant a besoin de retrouver un ordre extérieur jusqu'à ce qu'il ait établi pour lui-même sa propre orientation dans le monde", commente Benoît Dubuc (Op. Cit., p. 161).

 

C'est précisément le rôle du milieu éducatif que doit aménager l'éducateur(trice !) : offrir un ordre extérieur qui permet la concentration, l'ordre intérieur, l'orientation de l'activité, à partir de quoi l'enfant peut ex-plorer. On le voit bien dans cette description que fait Montessori dans cette description du milieu éducatif :

"L'environnement doit fournir à l'enfant toute possibilité de concentration et de choix. Les objets de cet environnement devraient facilement être mémorisés par l'enfant. Il faudrait qu'il y ait un certain nombre d'objets dont l'enfant puisse, le moment venu, se souvenir. Il faudrait aussi qu'il parvienne à se souvenir de la place qu'occupe chaque objet de sorte que l'environnement, au bout d'un certain temps, n'apparaisse plus à l'enfant comme une nouveauté ; c'est à partir de là qu'il ne distraira probablement plus son attention. Cet environnement est tel qu'on le croirait imprégné de l'esprit de l'enfant, de sorte que, lorsque l'enfant choisit une activité, ce choix est conscient et la concentration lui paraît aisée. Ainsi, lorsque l'enfant pénètre dans la salle, animé par des activités intérieures, qu'il souhaite exprimer, son attention n'est pas détournée par des choses nouvelles ou inhabituelles. Il est incontestable que l'effet qu'exerce sur nous un certain environnement donné, habituel, est très grand, soit un environnement qui ne nous distrait pas et qui contient tout ce qui est indispensable. Parce qu'il nous est familier et adapté, il diffuse un sentiment de sécurité". (Maria Montessori, Cours de 1921, repris dans L'Association Montessori Internationale, Communications, 1963, nƒ 3, p. 6f, cité par Winfried Böhm, "Maria Montessori", in Jean HOUSSAYE, Quinze pédagogues, leur influence aujourd'hui, Paris, Armand Colin, 1994, p. 160.)

 

 

4) Les périodes de développement

 

Un ordre chronologique est inscrit dans la nature : celui des étapes du développement de l'enfant, des "périodes sensibles". L'éducation doit les respecter.

 

Le développement n'est pas linéaire ! Et pourtant le système éducatif tout entier est construit sur ce faux dogme.

 

L'image la plus juste qui convient pour décrire le développement n'est pas la ligne, l'empilement, mais la métamorphose et ses étapes successives. L'éducation doit s'y conformer.

 

 

V. APERCUS SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'ECOLE MONTESSORI

(On ne donnera que quelques indications) 

1) Une éducatrice et un environnement au service de l'auto-développement actif de l'enfant.

Un grand nombre d'objets : le matériel pédagogique. Pas des moyens didactiques au sens propre du terme, pas des auxiliaires de l'éducatrice, mais une aide pour l'enfant qui y recourt selon ses penchants et ses besoins.

 

2) Des outils éducatifs conçus comme des supports, des "rails" de développement.

Répartis en cinq groupes, cinq domaines d'éducation :

  • Vie quotidienne ou vie pratique (exercices préliminaires, soin de l'environnement, soin de la personne, courtoisie, bonne manière, mouvement)
  • Education sensorielle
  • Matériel langagier

Ces trois domaines concernent la cité des enfants. A l'école, au matériel langagier s'ajoutent :

  • Matériel mathématique
  • Matériel destiné à "l'éducation cosmique".

 

Il est très important de bien comprendre qu'en chacun de ces domaines, l'éducation est totale. L'éducation des mouvements, l'éducation sensorielle ont des dimensions morale, esthétique, intellectuelle, et même cosmique.

 

 

3) L'éducation esthétique et morale est donc présente dès le début, dans le matériel éducatif même.

 

Comme ils apprennent à respecter les autres, "les élèves sont tenus de ne pas détruire l'ordre et la beauté limpide de l'environnement et du matériel" explique Wilfried Böhm, "ils doivent bien plus être soucieux d'agencer l'environnement de façon accueillante et agréable pour eux-mêmes et pour les autres".

 

L'enfant développe là "les traits de caractère indispensables, selon Montessori, à une vie en communauté" :

"La discipline, l'ordre, le silence, l'obéissance, la sensibilité morale, bref, tout ce qui dénote un pouvoir d'adaptation très prononcé. Et cet enfant présente aussi de la vivacité, de la confiance en soi, du courage, de la solidarité, bref des forces qui sont aussi d'ordre moral. En même temps disparaissent, ou pour mieux dire, ne se présentent pas, les défauts qu'on avait cherché en vain à détruire par l'éducation : le caprice, l'esprit destructeur, le mensonge, la timidité, la peur, et, en général, tous les caractères liés à l'état de défense" (Maria Montessori (1931) citée par W. Böhm, "Maria Montessori", in Jean HOUSSAYE, Quinze pédagogues, leur influence aujourd'hui, Paris, A. Colin, 1994, p. 164).

 

 

4) L'éducation au cosmos

Elle concerne l'école élémentaire, mais sa perspective est présente dès le début.

 

Le "programme" d'enseignement doit être mis dans un perspective philosophique d'éducation au cosmos. Les contenus enseignés sont ordonnés à une vision cosmique de la civilisation humaine.

 

Voici comment B. Dubuc présente l'enseignement de la géographie : "La géographie n'est pas enseigné en tant que matière avec ses différents secteurs de connaissance. L'intérêt des enfants porte sur l'univers, c'est pourquoi l'enseignant commencera par raconter l'origine de l'univers (première leçon). Ce domaine sera présenté ensuite comme un sac à surprises : tous les éléments que l'on montrera auront un lien avec la Terre et ses phénomènes" (Op. Cit., p. 168).

 

L'histoire est envisagée dans le même esprit : "aider l'enfant à réaliser combien l'humanité est responsable de l'état des choses et combien elle continue d'avoir ce rôle à jouer"(M. Montessori, The Formation of Man, Madras, Kalaskhetra Press, 1991, p. 77).

 

La biologie elle-même doit être restituée dans le plan cosmique.

 

B. Dubuc résume ainsi la visée de l'éducation primaire : "L'enfant au seuil de l'adolescence aura le sentiment d'avoir complété quelque chose. Il aura construit sa personnalité sociale. Le "plan cosmique" que l'approche Montessori lui aura proposée l'amènera, à tout le moins inconsciemment, à prendre conscience de son appartenance à une longue tradition de civilisation humaine, de sa capacité à comprendre le phénomène de l'univers et du monde qui l'entoure, de sa responsabilité à poursuivre l'œuvre de construction humaine" (Op. Cit., p. 172).

 

On le constate : il est moins question d'un "programme" que de la propagation d'une vision

 

 

CONCLUSION

 

La doctrine Montessori est bien au bout du compte indissociable d'une spéculation anthropologique, d'une vision cosmique et religieuse de l'humanité et de son destin .

 

Cette "philosophie" est présente dès le début des écrits de Montessori, avant même le développement de son úuvre éducative, et il s'agit plus exactement d'un fondement religieux : en chaque homme, et singulièrement en chaque enfant, se poursuit la création divine.

 

"Chaque être vivant est un agent de la création qui a pour tâche de mener à bien certains travaux définis par l'image des domestiques dans une maison ou des employés dans une grande entreprise. L'harmonie sur terre repose sur l'effort des vivants, qui remplissent tous leur devoir" (M. Montessori, cité par W. Böhm, OP. Cit., p. 156).

 

Le plan cosmique auquel appartient l'humanité commande deux devoirs : 1) l'épanouissement et la conservation de soi ; 2) la conservation de l'ordre cosmique. C'est bien en effet le sens que donne aujourd'hui à l'éducation cosmique une "pédagogue Montessori" :

 

"L'adulte enseignant auprès de l'enfant du primaire a la grave responsabilité de ne pas enseigner de matière scolaires, mais de préparer l'enfant à reconnaître sa responsabilité d'être humain envers l'environnement et la société. On peut faire cela seulement si l'on comprend soi-même cette responsabilité ; si l'on peut apprécier la finalité grandiose du plan cosmique ; si l'on peut propager l'enthousiasme et le questionnement auprès des enfants et les stimuler par rapport à cet acte éloquent qu'est la création dans toutes ses manifestations" (Margaret STEPHENSON, Cosmic Education, in "AMI Communications", vol. 1.? Amsterdam, 1993, p. 17. Cité et traduit par B. Dubuc, p. 172).

 

 

Une façon de conclure serait aussi de s'interroger sur l'actuel succès de la pédagogie de Maria Montessori : Pourquoi ? On y réfléchira en lisant ce texte de W. Böhm :

"La pensée pédagogique oscille toujours au cours de l'histoire entre deux pôles: l'un subjectif, l'autre objectif De tout temps, lorsqu'une civilisation croit en sa tradition et a une haute opinion de ses valeurs, l'éducation met l'accent sur le pôle objectif et initie les enfants aux valeurs et au patrimoine de la civilisation et de la société. Mais quand une civilisation doute d'elle-même et que le progrès sur le plan culturel vient à être mis en question, le balancier repart vers le pôle subjectif et l'enfant se retrouve à la source de l'éducation.

Qu'y a-t-il d'étonnant alors à ce que , à une époque où la critique de la civilisation est à la mode et où les néoromantismes viennent troubler la pensée éclairée, la pédagogie de Maria Montessori soit considérée et promulguée comme une sorte de remède pédagogique ?".

 

Winfried Böhm, "Maria Montessori",
in Jean Houssaye, Quinze pédagogues, leur influence aujourd'hui, Paris, Armand Colin, 1994, p. 165.

 

 

Faut-il suivre W. Böhm, et attribuer l'actuel succès de Montessori à une crise de civilisation ?

 

 

* * *

 

 

 

COMPLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

Maria MONTESSORI, La pédagogie scientifique (1909 et 1916), Paris ESF, 1970.

Winfried BÖHM, "Maria Montessori", in Jean HOUSSAYE, Quinze pédagogues, leur influence aujourd'hui, PARIS, A. Colin, 1994.

 

Benoît DUBUC, "Maria Montessori : l'enfant et son éducation", in Maurice TARDIF, La pédagogie, Théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours, sous la direction de Clermont Gauthier et Maurice Tardif, Montréal, Gaëtan Morin éditeur, 1996.