ALAIN KERLAN

 

 

ISPEF UNIVERSITE LUMIERE LYON 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IMAGE ET IMAGINAIRE EN EDUCATION ET EN FORMATION

 

 

(ART ET EDUCATION. L'EDUCATION ESTHETIQUE)

 

Séminaire de maîtrise 1999/2000

Alain KERLAN ISPEF Université Lumière Lyon 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Séance n° 1

 

ART ET IMAGINAIRE EN EDUCATION ET EN FORMATION : PROBLEMATIQUES ET PERSPECTIVES. INTRODUCTION.

 

POURQUOI CE SEMINAIRE ?

 

Couvrir un champ de la réflexion et de la recherche en éducation et en formation qui mérite qu'on lui consacre des approches et des investigations spécifiques : en gros, le domaine de l'art et de l'imaginaire.

 

UNE SITUATION TRES PARADOXALE

 

Un champ dont l'importance est marquée d'emblée par un paradoxe :

 

 

1) Un secteur qui paraît être le parent pauvre et sacrifié à d'autres valeurs et investissements éducatifs : le peu de place dans les programmes, le combat militant pour le développement des arts plastiques à l'école toujours d'actualité…). L'état des lieux n'est guère encourageant ! Un rapide tour d'horizon, de la maternelle à l'université, selon l'expression consacrée, révèle surtout une disparition progressive et programmée . Pourquoi ? La place de l'art vivant à l'école maternelle : les activités créatrices, le dessin enfantin, la place de l'art moderne et contemporain sur les murs des classes, le compagnonnage de l'artiste et de l'enfant… Pourquoi cette proximité, et pourquoi son effacement progressif et bientôt général ? Pistes : art et enfance, intelligence et sensibilité, raison et sensation…

 

2) Mais un constat qu'il faut cependant nuancer. Des actions et des initiatives de grande ampleur, de plus en plus nombreuses, attestent à l'inverse de l'importance croissante accordée aux arts dans le domaine de l'éducation et de la formation : Classes Opéra, PPD (Cf. recherche INRP/ISPEF Diversifier sans exclure, l'autre curriculum), la fréquentation scolaire des salles de théâtre (des salles dont une grande partie est composée d'élèves, les partenariats de plus en plus nombreux, les " banlieues " à la Maison de la danse), des artistes et des écrivains dans les classes, les espaces culturels des IUFM (Lyon, Besançon)… Ce séminaire pourrait d'ailleurs être l'occasion de dresser un répertoire de ces activités. Interroger là-dessus les étudiants : tour de table. Bref, il faut aussi constater une volonté de promotion de l'éducation artistique, une conjoncture où le rôle éducatif essentiel des activités créatrices, de l'accès à l'imaginaire, la place et l'importance des images ne cessent d'être affirmés : l'engagement constant du Président Chirac, la réaffirmation régulière de l'importance des activités créatrices dans les textes et les réformes (exemples).

 

EN RESUME, UN CONSTAT : NAGUERE PARENTS PAUVRES VOIRE EXCLUS - CF DURKHEIM ET L'IMAGINATION ! - L'ART, L'IMAGINAIRE, L'IMAGINATION, L'EDUCATION ARTISTIQUE ET ESTHETIQUE SONT EN PASSE DE DEVENIR UN RECOURS EDUCATIF, UN MODELE D'EDUCATION ACCOMPLIE.

 

UNE QUESTION DE FOND

 

Telle est donc la question de fond, l'arrière-plan des recherches que je propose de mener dans le cadre de ce séminaire : Pourquoi ? Pourquoi cette montée en puissance du " modèle esthétique " ? Pourquoi et comment ce retournement qui touche la société tout entière :

 

 

DONC : QU'ATTEND NOTRE SOCIETE DU RECOURS AUX ARTS ET A L'IMAGINAIRE ? EN QUOI ET POURQUOI L'ART PEUT-IL ETRE UN MODELE EDUCATIF ?

Ouvrir, amorcer ici la réflexion (dimension sociale et politique ; dimension d'accomplissement personnel, individuel ; rééquilibrage de la culture et du rapport au monde dans un univers rationalisé et dominé par la technique, un monde désenchanté vidé de ses dieux ; l'esthétique - le " vécu ", le senti, l'imagination - comme unité éducative (accomplissement de ce que j'appelle l'idée éducative), unification, totalité, et non plus la seule raison, l'encyclopédie).

 

DEUX OU TROIS AXES D'INVESTIGATION

 

Pour explorer ce champ et cette problématique générale, je crois qu'il faut ouvrir largement le domaine d'investigation et les terrains de recherche. Trois axes principaux proposés :

 

 

1) Le domaine de l'éducation artistique et de la pédagogie de l'imaginaire, et plus largement le recours à l'art en éducation ( quelques exemples de domaine d'investigation : la didactique des arts plastiques à l'école primaire (cf. Images en tempête), la " pédagogie " de l'éducation musicale, chorégraphique (anecdote : le violon intérieur), le cinéma à l'école et au collège, l'éducation artistique dans les projets d'établissement, (les PPD…), l'éducation artistique chez Freinet, dans l'éducation nouvelle, le théâtre ou la danse au secours des banlieues (Vaux en Velin, Guy Bedos, Armand Gatti, etc… : quels ont été les " effets " de ces expériences ? Que sont devenus les participants ? Interviews, enquêtes).

 

 

2) Le domaine des œuvres d'art et des images, de la fiction (arts plastiques, cinéma, littérature, photographie, etc…) : comment " parlent "-elles des choses de l'éducation et de la formation, et que disent-elles ? Quelques exemples : Que racontent là-dessus les célèbres photographies de Doisneau ou de Boubat ; que nous dit de l'école d'aujourd'hui le film de Tavernier  Ça commence aujourd'hui ?  (ou encore : comment la littérature contemporaine parle-t-elle de l'enfance ? Et que dire là-dessus le film La vie est belle ? et les films et documentaires pédagogiques ?

 

 

3) Le domaine de ce que j'appellerai " l'imaginaire éducatif " : ses mythes, ses métaphores, ses figures de rhétorique. Tous les discours sur l'éducation et sur la formation ont recours aux symboles, aux images, aux comparaisons, aux mythes, aux emprunts de vocabulaire. Exemples : les figures du maître, passeur, jardinier, potier, ingénieur, gestionnaire, chef d'orchestre, etc. Je propose ici une investigation et une analyse de ces discours : dans les textes officiels, les journaux, les medias, les déclarations politiques, les revues pédagogiques, les revues professionnelles, les doctrines constituées, la littérature, etc. Exemples : le langage de la formation aujourd'hui ; les métaphores de l'éducation nouvelle…

 

 

 

NB 1. Ces trois axes bien entendu ont de nombreux points de recoupement, et ne sont distingués que par souci de clarification et par méthode. Les étudiants intéressés par le séminaire et l'entreprise d'un mémoire de maîtrise dans ces domaines sont invités à faire connaître leur(s) projet(s).

 

NB2. Le séminaire portera plus particulièrement sur les deux premiers points. La troisième dimension peut cependant être prise en compte en fonction des projets de maîtrise. ( Sur le fond, la raison pour laquelle le discours éducatif recourt massivement aux métaphores et aux images est peut-être l'une des dimensions du problème. A réfléchir.)

 

LES PROJETS DE MAITRISE

 

 

Un tour de table ici pour examiner les projets des étudiants. Si possible, en tâchant de procéder selon les trois axes distingués ci-dessus. Susciter une exploration collective pour " donner des idées " de recherche (thèmes, domaines, méthodes)…

 

 

 

ARCHITECTURE DU COURS

 

 

Trois séances exploratoires (nous sommes dans la première) :

 

2. Introduction : l'art et l'image dans le champ de l'éducation. Problématiques et perspectives. Axe 1 : l'éducation esthétique. Art et éducation. Le recours à l'art en éducation : quelles significations ? Quels enjeux pour l'éducation artistique et la pédagogie de l'imaginaire ? Exemples : les peintres et l'enfance ; la notion d'art enfantin (Depouilly, revue " Art enfantin "…) ; Schiller ; théâtre et danse en Banlieue ; une classe à l'Opéra, etc.... Travail d'analyse amorcé sur un exemple : Le cercle des poètes disparus. Recherche collective de " terrains ", domaines et thèmes d'investigation possibles.

 

3. Images et imaginaire de l'éducation dans l'art et la fiction. Exploration à travers quelques exemples : l'iconographie de l'enfance dans la peinture (d'après P. Ariès) ; le poète H. Michaux et le dessin enfantin ; le film de Tavernier, Çà commence aujourd'hui, etc. . Travail d'analyse amorcé sur un exemple : Zéro de conduite. Recherche collective d'un corpus.

 

4. Le discours de l'éducation et de la formation : ses images, sa rhétorique. Problématique : le langage de l'éducation, un langage métaphorique : pourquoi ? Exemples divers, analyse collective (sources : D. Hameline, O. Reboul, N. Charbonnel, textes et supports variés). Un exemple développé : Les images et la rhétorique en pédagogie des sciences dans un documentaire pédagogique ( Espaces de P.Goux).

 

1 ou 2 séances de " cadrage initial " des mémoires de maîtrise (sujets, problématiques, méthodes) :

 

 

5. Les projets de maîtrise. Problématiques et méthodologie.

 

 

6. Les projets de maîtrise. Problématiques et méthodologie.

 

 

7. A partir de la 7ème séance, alterneront les travaux collectifs (analyse d'images, d'œuvres littéraires, de textes et de documents pédagogiques, sociologiques, etc.), les phases consacrées à l'avancement des recherches des étudiants pour leur maîtrise (exposé de l'état des travaux, de lectures, etc.) et la part de cours magistral. L'organisation et le calendrier seront arrêtés avec les étudiants.

 

 

PRINCIPALES DEMARCHES ET METHODES MISES EN OEUVRE

 

 

CONTENUS

 

Sous la forme du cours ou de travaux collectifs, les contenus du séminaire seront consacrés à deux (ou trois) thèmes principaux : 1) L'éducation esthétique 2) Images et imaginaire de l'éducation dans l'art et la fiction : cinéma, photographie, littérature 3) exploration de l'imaginaire éducatif : métaphores, mythes, symboles.

Séance n° 2

 

 

 

Premier axe : l'éducation esthétique. L'art au secours de l'éducation et de la formation

 

(Eléments de réflexion et d'investigation)

 

 

Cette approche ne constitue nullement un programme, mais une exploration destinée à montrer la richesse du champ et les très nombreuses perpectives.

 

 

Rappel de la " problématique " :

 

La question de fond, l'arrière-plan des recherches que je propose de mener dans le cadre de ce séminaire : Pourquoi ? Pourquoi cette montée en puissance du " modèle esthétique " ? dans l'école (les ateliers, les PAE, les classes Opéra, etc…), les problèmes de formation (le théâtre dans l'entreprise, la poésie dans les stages d'insertion ), les problèmes de notre société (les artistes en banlieue ; l'atelier de peinture au secours du lien social (Gérard Garouste) ; l'écriture contre la mort lente des exclus ( La Moquette , rue Gay-Lussac à Paris) ; le travail de l'écrivain François Bon chez les sans-abri de Nancy (Le Monde, 22 décembre 1998) ; le rap contre la fracture sociale (Le Monde, 12 novembre 1997) ; le théâtre d'Armand Gatti (Le monde, 24 juin 98) ; Guy Bedos chez les beurs) ; Etc. Poursuivre l'inventaire. Le séminaire peut donner cette occasion. Pourquoi et comment ce " retournement " qui touche la société tout entière ?

 

DONC : QU'ATTEND NOTRE SOCIETE DU RECOURS AUX ARTS ET A L'IMAGINAIRE ? EN QUOI ET POURQUOI L'ART PEUT-IL ETRE, DEVIENT-IL UN MODELE EDUCATIF ?

 

Une séance d'exploration, destinée à repérer, prospecter des terrains de recherche dans cette perspective.

 

 

Démarche :

 

1) Quelques exemples de recours éducatif à l'art et à l'imaginaire. Amorce d'analyses comparatives :

 

(NB. Le travail de la séance sera surtout centré sur le film Le cercle des poètes disparus.)

 

2) On fera porter la synthèse des analyses sur les fonctions attribuées à l'art, à l'imaginaire, à la création, aux pratiques artistiques, à la culture esthétique dans ces différents exemples : Qu'attend-on de ces recours ? Quels bénéfices ? Quelles " missions " ? Quelles visées ? Et pourquoi ?

 

3) Mise en perspective et " balisage " des champs de recherche possibles et des démarches appropriées.

 

(NB. C'est ambitieux. Mais on rappellera qu'il ne s'agit que d'ouvrir des perspectives.)

 

  • Exemples de recours éducatifs à l'art et à la culture esrhétique

     

    1) Le cercle des Poètes disparus. Peter Weiss, USA, 1989, OSCAR 1989 du meilleur scénario original.

     

    Présentation. Le succès public considérable du film. Les nombreux articles et émissions de radio qui lui furent consacrés : un événement et un fait de société. De nombreuses classes et leur professeur dans les salles obscures.

     

    Le scénario : " Automne 1959. L'Académie Welton est l'une des institutions scolaires les plus réputées, les plus austères et les plus fermées des Etats-Unis. Cette année-là, un professeur de littérature pas comme les autres y fait son entrée. John Keating est bien davantage qu'un professeur. Ce qu'il enseigne ne figure dans aucun manuel : c'est l'amour de la vie et de la liberté, la passion de la poésie, le désir d'exprimer sans contrainte tout son potentiel… ". Rapide résumé de l'intrigue.

     

    Visionnement : L'arrivée à l'Académie, l'installation de la " machine " éducative et de ses étudiants - L'entrée en scène de l'autre professeur (Carpe Diem), … - La première leçon de poésie et la mise à mort du manuel. (Environ 30 minutes)

     

    Analyses :

  •  

     

     

    (Amorce d'analyses, sur le plan du contenu et de la forme)

     

     

    2) Images en tempête

     

    L'amorce d'analyse portera ici autant sur le documentaire pédagogique (contenu et forme) que sur le discours qui l'accompagne.

     

     

    3) De quelques usages sociaux

     

     

    Le travail pourra ici être une approche succincte par groupes, pour un aperçu général.

     

     

    Domaines de recherche

     

     

    1) L'éducation artistique et la pédagogie de l'imaginaire

     

    Pratiques et dispositifs d'éducation artistique dans le champ scolaire et péri-scolaire.

     

    L'éducation dans les doctrines éducatives. Quelle place ? Quel rôle ? Pourquoi ? Quelle place pour l'image, l'intuition, le sentiment ? (Exemples : Rousseau et l'éducation esthétique dans l'Emile, éducation artistique et éducation nouvelle, Le mouvement Freinet et l'éducation artistique).

     

    Le recours esthétique en formation d'adultes.

     

    Le thème de l'enfant artiste, de l'enfant créateur.

     

    Former des artistes (arts plastiques, musique, danse, théâtre, cinéma…). L'apprentissage des arts. Didactiques, démarches, transmissions

     

    L'élève-artiste.

     

    Education artistique et éducation scientifique : le positivisme (Comte, Durkheim)

     

    Une " alliance " contemporaine : la pédagogie " innovante " et l'art moderne, l'avant-garde, le contemporain. Voyez dans les classes maternelles et les revues professionnelles. Pourquoi ?

     

     

    2) L'art et les activités créatrices dans les pratiques sociales

     

    Les dispositifs et les pratiques. Inventaire et analyse dans un secteur donné.

     

    Suivi et analyse d'un dispositif spécifique : atelier d'écriture, théâtre…

    Art et lien social : des artistes et des pratiques artistiques au secours des banlieues.

     

    Art et handicap.

     

     

     

    3) L'éducation et l'enfance, vues du côté des artistes

     

    Enfance et éducation dans l'œuvre et le propos des artistes :  Quelques exemples : Baudelaire, Paul Klee, Picasso, André Breton et les surréalistes, Gombrowicz, Henri Michaux, Joseph Beuys, François Truffaut…)

     

    La vision éducative des artistes et théoriciens de l'art. Exemple : Kandinsky (Du spirituel dans l'art). A rapprocher de Montessori, Steiner (la théosophie, l'anthroposophie).

     

     

    (NB. Cette direction s'inscrit plus encore dans la seconde grande perspective de recherche : images et imaginaire de l'éducation et de l'enfance dans l'art et la fiction. On la signale ici pour souligner l'apport possible, l'influence des artistes sur les conceptions et les pratiques en éducation)

     

     

     

    Démarches de recherche

     

    Quelle que soit la recherche entreprise et son champ, on peut avancer qu'elle devra en passer par quelques étapes indispensables :

     

     

     

    NB. Sur le plan de la démarche effective, du déroulement concret du travail, cela implique qu'il faut prendre les choses par les deux bouts !

     

     

     

    Séance n° 3

     

     

    Images et imaginaire de l'éducation et de l'enfance dans l'art et la fiction.

     

    Ce second axe, nous l'avons déjà un peu dégagé en nous interrogeant sur le film Le cercle des poètes disparus. Bien sûr nos axes ont de nombreux points de recoupements et de convergences, et leur distinction est avant tout un moyen de s'y repérer. Il s'agit ici de le cerner pour lui-même.

     

     

     

    Exploration du champ de recherche. Exemples.

     

    Sur fond de la problématique générale (cf. supra, premier axe) : conduire des études dans le domaine des œuvres d'art, des images, de la fiction (arts plastiques, cinéma, littérature, photographie, publicité, documentaire, etc…) : comment y parle-t-on des choses de l'éducation et de la formation, et que dit-on ? Quelques exemples : Que racontent là-dessus les célèbres photographies de Doisneau ou de Boubat ?  Photographier l'enfance, pourquoi ? Que nous dit de l'école d'aujourd'hui le film de Tavernier  Ça commence aujourd'hui ?  (ou encore : comment la littérature contemporaine parle-t-elle de l'enfance ? Et que dit là-dessus le film La vie est belle ? Et les films et documentaires pédagogiques ? Que nous dit Le cercle des poètes disparus de la société et de l'imaginaire éducatif américain ? Que nous racontent les publicités consacrées aux encyclopédies et aux équipements multimédias sur la " société cognitive ", la " société éducative " ?

     

     

     

    1. L'enfance et l'éducation en littérature : l'exemple de Peter Handke

     

    Présentation succinte (Cf. Goldschmidt, Peter Handke, col. Les contemporains, Seuil.)

     

    Lecture individuelle des deux extraits proposés (cf. annexes).

     

    Analyse individuelle : les thèmes, les images et les métaphores. Le sens donné à l'enfance et à la relation enfant-adulte.

     

    Mise en commun, discussion et perspectives : en quoi ce livre-là nous parle-t-il de l'enfance dans notre monde ?

     

    Quelles méthodes de travail sur ce terrain ? La forme et le contenu. L'œuvre et le contexte social, culturel.

     

     

    Prolongement : établir une bibliographie, un inventaire de base. Quels auteurs ? Quels ouvrages ?

     

     

     

    1.  
    2. Enfance et éducation au cinéma : l'exemple de La vie est belle, de Roberto Benigni

       

      Présentation, à partir d'une " revue " succincte de presse.

       

      Le point de vue de Charles Tesson : L'enfance de la mémoire, " Cahiers du cinéma ", novembre 1998, n° 529, pp. 46/48.

       

      Lecture et analyse de l'article : qu'est-ce qui est en jeu ? En quoi y a-t-il là quelque chose d'important concernant l'enfance et l'éducation aujourd'hui ?

       

      Quelles méthodes de travail sur ce terrain ? La forme et le contenu. L'œuvre et le contexte social, culturel. Les exigences de l'analyse. Peut-on étudier un film (ou un roman) au même titre qu'un ouvrage de réflexion, une étude sociologique ? Une thèse sous-jacente : la littérature et le cinéma pensent. Le philosophe Stanley Cavell parle de " la pensée du cinéma " (The thought of Movies). Cf Stanley Cavell, La projection du monde, Belin, 1999. Pour une présentation : Revue Esprit, mai 1999.

       

      Quelle méthode d'analyse ? L'analyse filmique, l'analyse de l'image et du récit. La " méthode Marty " : trouver l'oppositi= on qui fait avancer le récit et l'achemine inéluctablement à sa fin. L'analyse du contexte historique, politique, intellectuel, socio-culturel : le film se passe en 1940-1944 ; il sort en 1998. Quel est alors le contexte social et éducatif  ? Un grand succès public : pourquoi ? Analyser la presse de l'époque…

       

       

      Prolongement : établir une filmographie, un inventaire de base. Quels cinéastes ? Quels films ? Quelles interrogations ? Un précédent : Marie-José CHOMBART DE LAUWE, " Un autre monde : l'enfance ". Des " spécifiques " : Jacques Chevallier, " Kids ", Centre national de la documentation pédagogique, 1986, 1988, 1992 ; Enfants du cinéma, Maison du geste et de l'image, 1993.

       

       

      Eventuellement, à titre de TD exploratoire : début d'analyse de Zéro de conduite, de Jean Vigo. On fera notamment apparaître un invariant : le clivage monde de l'enfance - monde des adultes enseignants, et la figure du " passeur ", brouillant la frontière et le partage…

       

       

       

    3. Du côté des peintres et des poètes

     

    Présentation : l'art moderne et le thème de l'enfance. L'exemple de la célèbre déclaration de Picasso. Quel sens lui accorder ? Que cherchent les peintres du côté de l'enfance et de l'art enfantin ?

     

    Autres exemples ? Interroger là dessus les étudiants qui ont un projet de recherche dans cette direction (Caroline Mollon)

     

    Un thème lié à la modernité esthétique : sa formulation chez Charles BAUDELAIRE. L'artiste et l'enfant, dans Le peintre de la vie moderne (1863), chapitre III (L'artiste, homme du monde, homme des foules et enfant).

     

    Un exemple contemporain, chez un poète qui fut aussi un peintre, dessinateur : Henri MICHAUX, Essais d'enfants. Dessins d'enfants, in Déplacements. Dégagements, Gallimard, 1985.

     

     

    Démarches de recherche

     

    Les plans sur lesquels un travail conduit sur ces terrains devra nécessairement se situer :

      

      

      

     

     

     

    Domaines de recherche

     

    Ils sont ici définis par les différents domaines des arts, du langage de l'image et de l'imaginaire. Ne pas oublier d'y inclure le domaine des œuvres adressées à l'enfance : la littérature enfantine, le théâtre et le cinéma pour enfants, et aussi le domaine documentaire, y compris le documentaire pédagogique.

     

    Séance n° 4

     

     

     

     

     

    TROISIEME AXE : L'IMAGINAIRE DE L'EDUCATION ET DE LA FORMATION

     

     

     

     

    Le champ de recherche et sa problématique

     

     

    Un axe complémentaire, qui recoupe les deux autres, mais ouvre aussi d'autres champs de recherche : ceux des représentations, des discours, des métaphores, des mythes, des symboles, etc., bref des langages dans lesquels se disent les choses de l'éducation et de la formation.

     

     

    Il faut partir d'un constat : le discours de l'éducation et de la formation utilise constamment les métaphores, les images, les symboles. Comme si il était impossible de dire l'éducation sans en passer par l'image et la métaphore. Problématique : le langage de l'éducation, un langage essentiellement métaphorique : pourquoi ?

     

    Un simple exemple, emprunté à John LOCKE (1632-1704) : 

    " Elles étaient destinées au fils d'un gentleman de mes amis, que je considérais, à raison de son jeune âge, comme une page blanche ou comme un morceau de cire que je pouvais façonner et mouler à mon gré ".

    Quelques pensées sur l'éducation (1693) p. 278, édition Vrin.

     

     

    Analyse des métaphores qui abondent dans un texte pourtant fort court.

     

    Nous nous sommes déjà arrêtés sur les métaphores bibliques du texte de Peter HANDKE. On pouvait croire qu'il fallait les mettre sur le compte de la littérature : et si en fin de compte elles étaient à mettre tout autant sur le compte de l'objet lui-même, l'éducation, la formation ? Si le langage métaphorique était une spécialité du discours sur l'éducation, même quand il prétend à la scientificité ? Le langage de la formation, de ce point de vue.

     

    Le travail à engagé opère ici dans un champ déjà balisé. Trois travaux importants l'ont déjà exploré :

    REBOUL Olivier, Le langage de l'éducation, Paris, PUF, 1984.

    HAMELINE Daniel, L'éducation, ses images et son propos, Paris, ESF, 1986.

    CHARBONNEL Nanine, La tâche aveugle, Tome 1 : Les aventures de la métaphore, tome 2 : L'important, c'est d'être propre, tome 3 : Philosophie du modèle, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1991-1993.

     

    HYPOTHESE : ETUDIER COMMENT ELLE EN PARLE, COMMENT ELLE SE LE "REPRESENTE", S'INTERESSER AUX EXPRESSIONS QU''ELLE EN DONNE, C'EST UNE BONNE FACON D'ELUCIDER, POUR UNE SOCIETE DONNEE, CE QU'EDUQUER SIGNIFIE.

     

    Comme l'écrit Michel Fabre, "une telle élucidation anthropologique exige de dévoiler les figures fondamentale de l'imaginaire qui nous constituent". ( Qu'est-ce que la philosophie de l'éducation, in Jean Houssaye (dir.), Education et philosophie, Paris, ESF, 1999.

     

     

     

    L'approche d'Olivier Reboul : les cinq types de discours pédagogiques

     

    Le discours contestataire

     

    Le discours novateur

    Le discours fonctionnel

     

    Le discours humaniste

    Le discours officiel

     

    Dégager ici les grandes lignes de chacun d'eux (on pourra travailler sur les deux exemples du discours novateur et du discours humaniste) et celles de l'analyse rhétorique, dans une perspective heuristique : en examinant l'usage qu'on pourrait faire de l'outil et de la démarche (par exemple dans le champ de la formation…, ou en prolongeant l'opposition discours novateur/discours humaniste sur le plan de la querelle rebondissante Républicains/Pédagogues…)

     

     

    Les analyses de D. Hameline et N. Charbonnel

     

    Deux exemples.1) le succès d'une formule :"le niveau baisse" (D. Hameline p. 29). 2) Les métaphores du remplissage et du nourrissage (Idem, p. 31).

     

    Donc : l'éducation est fondamentalement quelque chose qui s'imagine.

     

     

    Index des images et métaphores de la formation

     

    Daniel Hameline, pp. 236/240.

     

     

     

     

    Un exemple improbable : l'éducation scientifique. La leçon de Bachelard.

     

    Exposé à partir de l'article Les sciences et l'imaginaire pédagogique, commentaire du film de P. Goux, Espaces. Alain Kerlan, Chamonix, JES, 1990.

     

     

     

    Ebauche d'analyse d'un discours-type : le langage de l'ingénierie de la formation

     

     

     

    Pistes de recherche

     

    Les travaux engagés pourraient être des contributions à un inventaire et une analyse de l'imaginaire éducatif :

     

    Etude de "discours-types" : le langage de l'ingénierie éducative, le langage de la Réforme, le langage de l'éducation aux nouvelles technologies (ô l'enfant mutant qu'on nous dit déjà dans l'univers complexe de l'informatique comme un poisson dans l'eau, quand l'adulte y perd pied !), langage de l'éducation artistique, tout aussi bien, langage de l'insertion social, etc. Langages et discours saisis là où ils se disent, dans les livres, les articles, la presse spécialisée, les propos officiels, les journaux, etc.

     

    Etude des grandes figures de l'imaginaire éducatif : figure du maître et des autres partenaires de l'éducation et de la formation (CPE), du "parendélève", de l'élève etc.

     

    Etudes centrées sur de grandes métaphores du langage sur l'éducation et la formation : par exemple, la métaphore, aujourd'hui toute puissante, de la gestion.

     

     

     

    Démarche de recherche

     

    Elle est naturellement assez proche de la démarche nécessaire dans le domaine précédent, image et imaginaire de l'éducation et de la formation dans l'œuvre d'art et la fiction. S'en inspirer.

     

     

    ***

     

     

    Eléments et matériaux de réflexion complémentaires

     

    NB. La part "cours" du séminaire pourrait notamment être consacrée à certains de ces éléments.

     

     

    1) L'entrée de l'art dans le champ de l'éducation. Quand ? Pourquoi ?

     

    - Un texte fondateur : Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme.

    - L'éducation esthétique à la Renaissance ? Education aristocratique ! Cf. Durkheim.

    - Education esthétique et Révolution. Le culte de la Raison, les Fêtes révolutionnaires, l'éducation contre l'instruction : Condorcet / Rabaut Saint Etienne, Le Peletier de Saint - Fargeau, Robespierre.

     

    - Le refus de l'art en éducation : Platon, Durkheim, Alain.

    - Education esthétique et modernité éducative.

     

     

    2) Esthétique et philosophie de l'art

     

    - Finalités et fonction de l'art : Aristote, Platon, Hegel, Nietzsche, Kant, Marcuse, Passeron, et les autres.

    - Les paradigmes esthétiques : classique, romantique (cf Scherringham)

    - Naissance et invention de l'esthétique : un événement considérable

    - Art et société

    - Esthétique et philosophie de l'image

    - Education esthétique et politique

    - Education esthétique et démocratie (Michaud, La crise de l'art contemporain ; Luc Ferry, Homo Aestheticus)

    - Walter Benjamin (La distinction de Benjamin, valeur d'exposition - valeur rituelle, appliquée à l'éducation ?)

     

    - Charles Taylor : l'esthétique comme modèle éthique de la réalisation de soi. Art et morale de l'authenticité.

     

     

     

    1. Aspects de l'imaginaire éducatif. (sous réserve)

     

    Ce point reste à définir. On pourrait y approcher :

    La conception bachelardienne de l'imaginaire (La formation de l'esprit scientifique et les textes consacrés aux éléments).

    Les thématiques psychanalytiques (Freud et Yung.)

    Les travaux de Gilbert Durand (Les structures anthropologiques de l'imaginaire).

    Les travaux de Daniel Hameline et de Nanine Charbonnel.

     

     

    Séance n ° 5.

     

     

     

     

    A) Une première phase de travail autour de 2 ou 3 projets d'étudiants.

     

    Objectifs : Donner par l'exemple une idée du travail d'élaboration nécessaire pour formuler un projet de recherche "viable".

     

    1. Dessin enfantin et peinture contemporaine

     

    Formulation initiale : "Lien entre le dessin d'enfant et les peintures contemporaines. Analyse au niveau du style représentatif".

     

     

    1) Explicitation , développement du projet (pour le groupe). Questionnement. Cadrage du domaine de recherche.

     

    2) Exploration du domaine de recherche :

     

    "Le chercheur doit d'abord définir les choses dont il traite, afin que l'on sache précisément de quoi il est question. Ainsi un premier effort de définition, qui contribue à la délimitation du champ d'investigation, participe à la construction de l'objet de la recherche" A. Robert et Annick Bouillaguet, L'analyse de contenu, Paris, PUF, col. Que sais-je ? n° 3271, 1997, p. 23.

     

      

     

    3) Recherche d'un corpus, recensement des données sur lesquelles pourrait se centrer la recherche :

     

     

     

    4) De la formulation de la "question de départ" à la construction d'une problématique.

     

    Définition de la démarche à partir de deux aperçus :

    a) "Initialement circonscrit avec une certaine précision, un objet de recherche se reconnaît surtout à l'élaboration d'une problématique, c'est-à-dire, en première approximation, un ensemble de problèmes qui, ouvrant la recherche, sont susceptibles d'être soulevés par l'objet étudié. La construction d'une problématique ne se limite cependant pas à l'énoncé immédiat de quelques questions; elle tient plutôt à une posture d'interrogation générale de l'objet, proche du sens que prend l'adjectif dans l'expression de "jugement problématique ": il s'agit d'une proposition qui énonce une simple possibilité, la vérité n'étant encore pas établie à ce sujet. On notera qu'une problématique ne saurait partir d'un degré zéro mais repose toujours peu ou prou sur un état de la question, sur un socle de données élaboré par des prédécesseurs. Il est donc judicieux de partir d'un état de la littérature sur le sujet traité et de faire valoir l'originalité de la problématique adoptée, c'est-à-dire le ou les angles nouveaux sous lesquels on se propose d'interroger l'objet. La mise en place de la problématique occupe ainsi une grande partie de l'introduction à la recherche. " La science ne commence pas avec les faits [... 1 mais avec un problème spécifique ", dit justement le biochimiste américain Northrop. La notion de problème renvoyant étymologiquement à l'image du promontoire, de l'obstacle, de quelque chose jeté devant nous, provisoirement non surmonté mais surmontable (à la différence du mystère dont la nature est de rester définitivement opaque), il appartiendra à la recherche elle-même d'apporter, à son terme, les réponses aux questions posées, de mettre au jour des solutions.

     

     

    Une troisième et dernière étape dans la mise en œuvre d'une recherche consiste à définir une ou des hypothèses, c'est-à-dire littéralement des " thèses placées sous ", encore appelées par Claude Bernard "idées préconçues " ou, mieux, " idées anticipées ". Autrement dit, il s'agit de solutions proposées par anticipation aux interrogations formulées dans la problématique, indiquant la représentation que s'en fait a priori le chercheur, et qui sont à ce titre formulées sur un mode affirmatif. L'étude elle-même valide ou infirme dans leur intégralité une ou plusieurs des hypothèses émises. Elle peut aussi valider ou infirmer partiellement l'une ou l'autre, obligeant à nuancer les jugements initiaux".

     

    André Robert et Annick Bouillaguet,

     

    L'analyse de contenu, Paris, PUF, col. Que sais-je ? n° 3271, 1997, p. 24.

     

    1. "Les étapes de la recherche" : rupture, construction, constatation.

     

    Dans cette perspective, on essaiera de:

     

     

     

    5) Choix de la méthode et construction d'un modèle d'analyse.

     

     

    II. L'art et la formation dans l'entreprise

     

    Même démarche, transposée.

     

    B) Autour de l'art et du dessin enfantin. Eléments pour une problématique.

     

    1. Le dessin enfantin : sa nature, son style

      Eléments de cours : la nature du dessin enfantin

      Document video : l'enfant qui dessine.

       

    2. L'enfance, un modèle pour l'artiste moderne ? Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne.

       

    3. Art et enfant : Georges Jean, "La rêverie vers l'enfance", Le Monde de l'éducation, décembre 96.
      1. 4) Un poète-peintre parle du dessin d'enfant : Henri MICHAUX, Essais d'enfants. Dessins d'enfants, in Déplacements. Dégagements, Gallimard, 1985.

       

     

    Séance n°6

     

    Elle sera consacrée à l'exploration collective de 2 ou 3 projets de recherche envisagés par les étudiants.

     

    1. L'art et la formation dans l'entreprise

     

     

  • (Jean-Paul Oeuvrard)

     

  • Formulation initiale : ?

     

     

    1) Explicitation , développement du projet (pour le groupe). Questionnement. Cadrage du domaine de recherche.

     

     

    2) Exploration du domaine de recherche :

     

    "Le chercheur doit d'abord définir les choses dont il traite, afin que l'on sache précisément de quoi il est question. Ainsi un premier effort de définition, qui contribue à la délimitation du champ d'investigation, participe à la construction de l'objet de la recherche" A. Robert et Annick Bouillaguet, L'analyse de contenu, Paris, PUF, col. Que sais-je ? n° 3271, 1997, p. 23.

     

    Quels sont les constats de départ ?

     

    Comment expliquer ce "recours" ? A quoi l'attribuer ? Quelles hypothèses initiales ?

     

     

    Quels travaux engager pour mieux cerner le domaine étudié ?

     

     

    4) Recherche d'un corpus : sur quels éléments, quels "observables", la recherche peut-elle se centrer ?

     

     

    5) Construction de la problématique

     

    Pas de vraie problématique sans :

     

     

    Ici, il faudrait d'abord rappeler les grandes lignes de la problématique dans laquelle je vous ai proposé de nous inscrire : Pourquoi ? Pourquoi cette montée en puissance du " modèle esthétique " ? dans l'école (les ateliers, les PAE, les classes Opéra, etc…), les problèmes de formation (le théâtre dans l'entreprise, la poésie dans les stages d'insertion ), les problèmes de notre société (les artistes en banlieue ; l'atelier de peinture au secours du lien social (Gérard Garouste) ; l'écriture contre la mort lente des exclus ( La Moquette , rue Gay-Lussac à Paris) ; le travail de l'écrivain François Bon chez les sans-abri de Nancy (Le Monde, 22 décembre 1998) ; le rap contre la fracture sociale (Le Monde, 12 novembre 1997) ; le théâtre d'Armand Gatti (Le monde, 24 juin 98) ; Guy Bedos chez les beurs) . Pourquoi et comment ce " retournement " qui touche la société tout entière ? Qu'attend donc la société contemporaine de ce recours aux arts et à l'imaginaire ? En quoi est-il caractéristique de cette société ? En quoi et pourquoi l'art peut-il être un modèle pour l'éducation et la formation ?

     

    Et bien sûr cadrer cette problématique générale sur le plan plus spécifique de l'entreprise. (Sur le plan bibliographique, penser à quelque chose sur l'entreprise aujourd'hui…).

     

    Mon hypothèse : ces processus sont liés aux valeurs de la "modernité", à la place qu'elle fait aux individus, à leur sensibilité. L'esthétique est bien la marque du monde moderne et démocratique. Mes références (sur une base kantienne, celle de la Critique du jugement) à l'appui de cette position :

     

    SCHILLER, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme.

     

    L. FERRY, Homo Aestheticus, L'invention du goût à l'âge démocratique, Paris, Grasset, 1990 (au moins l'Avertissement, l'Avant-propos et le chapitre I.).

     

    Y. MICHAUD, La crise de l'art contemporain, Paris, PUF, 1997 (au moins le chapitre VI).

     

    C. TAYLOR, Le malaise de la modernité, Paris, Cerf, 1994.

     

    M. MAFFESOLI, Au creux des apparences, pour une éthique de l'esthétique, Paris, Le livre de Poche, col Biblio/essais, 1990.

     

     

    6) Choix de la méthode et construction d'un modèle d'analyse

     

    Ici, peut-être s'inspirer de la monographie d'établissement (Derouet, appliquant les idées de Luc Boltansky et Laurent Thévenot, la notion de principe de justification (cf. La justification). En tout cas, entretiens et observation.

     

    1.  
    2. L'enfant au Musée

     

    (Agnès Mignot)

     

    Formulation initiale : "Travail sur des tableaux au Musée des Beaux-Arts, ayant pour thème l'enfance, et imaginer un parcours pour des enfants. Comment leur faire voir des tableaux ? Quelles (sont les) intentions pédagogiques ?"

     

     

     

    1) Explicitation , développement du projet (pour le groupe). Questionnement. Cadrage du domaine de recherche.

     

    NB. On a là une difficulté exemplaire, mais bien "normale" dès qu'on est sur le terrain de l'éducation : La préoccupation pédagogique, la recherche d'une norme du "Comment faire ?" est première.

     

    Une préoccupation qu'on ne peut récuser : après tout, l'idée selon laquelle la recherche pédagogique est légitime et vise à améliorer les pratiques est une donnée irrécusable des sciences de l'éducation. C'est ainsi la raison d'être de l'INRP.

     

    Si la recherche envisagée entend donc se situer sur le terrain pédagogique, il faut donc essayer de formuler un problème pédagogique repérable, qui offre des prises à l'analyse et à l'investigation méthodique.

     

    Il y a cependant à mon avis deux choses qu'on peut écarter d'emblée. Le projet "imaginer un parcours pour des enfants" : ce n'est pas un projet de recherche, mais un projet d'animation ; l'idée que les tableaux porteraient sur l'enfance : c'est une contrainte thématique ici inutile…

     

     

    2) Exploration du domaine de recherche :

     

    "Le chercheur doit d'abord définir les choses dont il traite, afin que l'on sache précisément de quoi il est question. Ainsi un premier effort de définition, qui contribue à la délimitation du champ d'investigation, participe à la construction de l'objet de la recherche" A. Robert et Annick Bouillaguet, L'analyse de contenu, Paris, PUF, col. Que sais-je ? n° 3271, 1997, p. 23.

     

    Ce rappel est ici particulièrement opportun. Comment donc circonscrire ici le domaine de recherche pédagogique dans lequel s'inscrit le travail envisagé ?

     

    Je vois en première analyse deux orientations :

     

    Les constats de départ :

     

    a) La fréquentation du Musée est une pratique de plus en plus précoce. Et pourtant, la pédagogie contemporaine porte tout son effort sur l'enfant créateur, non sur l'enfant récepteur…

     

    b) On ne sait pas très bien ni comment ni ce que l'enfant perçoit et comprend de ce qu'il perçoit d'une œuvre d'art…

     

    Quels travaux engager pour mieux cerner le domaine ?

     

     

    4) Recherche des "matériaux" sur lesquels pourrait travailler la recherche

     

     

     

    4) A la recherche d'une problématique

     

    "Des élèves en nombre croissant fréquentent le Musée. Les Musées développent leurs services pédagogiques. Quelle est la portée et l'influence de ces dispositifs ? Comment les enfants eux-mêmes s'en emparent-ils ? A quelles conditions peuvent-ils être un dispositif pédagogique efficace ?"

     

     

     

    5) Choix de la méthode et construction d'un modèle d'analyse

     

    Cette préoccupation est particulièrement importante pour pouvoir "objectiver" un sujet par nature assez flou. Un bon moyen d'y parvenir est peut-être de se centrer d'emblée sur l'étude d'un dispositif comme le service pédagogique d'un Musée. Il permet à la fois une observation suivie de classes, de groupes ou d'individus, des entretiens (enseignants, animateurs, élèves) , des "évaluations"…

     

     

    C) Suggestions de recherches

     

    1. L'éducation artistique et la pédagogie de l'imaginaire

       

       

      Etudes de pratiques et dispositifs d'éducation artistique dans le champ scolaire et péri-scolaire (théâtre, danse, arts plastiques, cinéma, musique, poésie, ateliers d'écriture, projets d'établissement, parcours diversifiés, etc.).

       

      La place de l'éducation esthétique dans les politiques éducatives. Etudes des textes et directives.

       

       

      Pédagogie des arts : l'histoire, les enjeux..

       

       

      Cinéma et enseignement.

       

       

      Cinéma et éducation

       

      L'image, un enjeu éducatif (de l'iconoclasme à la culture de l'imaginaire)

       

      La place de l'éducation artistique dans les revues professionnelles. (Etude portant sur un corpus à fixer).

       

       

      L'éducation esthétique dans les doctrines éducatives. Quelle place ? Quel rôle ? Pourquoi ? Quelle place pour l'image, l'intuition, le sentiment ? Pour le corps, les sens ? (Exemples : Rousseau et l'éducation esthétique dans l'Emile, éducation artistique et éducation nouvelle, Le mouvement Freinet et l'éducation artistique ; Maria Montessori et l'éducation sensorielle, etc…).

       

       

      Le recours esthétique en formation d'adultes. Dispositifs, discours, doctrines.

       

      Le thème de l'enfant artiste, de l'enfant créateur, de l'art enfantin.

       

       

      L'enfance et la poésie. Enfance et écriture.

       

       

      Former des artistes (arts plastiques, musique, danse, théâtre, cinéma…). L'apprentissage des arts dans les écoles des Beaux-Arts, Ecole de Danse etc. Institutions, didactiques, démarches, transmissions.

       

       

      L'élève-artiste. Le " rapport au savoir " et à l'étude dans les classes spécialisées (théâtre, cinéma, arts plastiques, musique, danse…)

       

       

      Imaginaire et éducation scientifique : le positivisme (Comte, Durkheim), Bachelard…

       

       

      Une " alliance " contemporaine : la pédagogie " innovante " et l'art moderne, l'avant-garde, le contemporain. Voyez dans les classes maternelles et les revues professionnelles. Pourquoi ?

       

       

       

      La vision éducative des artistes et théoriciens de l'art. Exemple : Kandinsky (Du spirituel dans l'art). A rapprocher de Montessori, Steiner (la théosophie, l'anthroposophie) ?

       

       

       

    2. L'art et les activités créatrices dans les pratiques sociales. Usages sociaux.

       

      Les dispositifs et les pratiques culturelles. Inventaire et analyse dans un secteur donné.

       

       

      Suivi et analyse d'un dispositif spécifique : atelier d'écriture, atelier d'arts plastiques, théâtre…

       

       

      Les pratiques musicales.

       

       

      Art et lien social : des artistes et des pratiques artistiques au secours des banlieues.

       

       

      Art et handicap.

       

       

       

    3. Images et imaginaire de l'éducation et de l'enfance dans l'art et la fiction.

     

    Persistances et métamorphoses d'une figure de l'imaginaire éducatif : le loup et l'enfant.

     

     

    Enfance et éducation dans l'œuvre et le propos des artistes :

     

     

    - Ecrivains : Baudelaire, André Breton et les surréalistes, Gombrowicz, Henri Michaux, Peter Handke, Claude-louis Combet, Charles Juliet, Nathalie Saraute, etc.

     

    - Peintres : Paul Klee, Picasso, , Joseph Beuys…

     

     

    - Cinéastes : François Truffaut, Maurice Pialat, C. Chaplin, Jean Vigo…

     

     

    Thématiques éducatives à étudiées dans l'œuvre d'art, l'image, la fiction :

     

     

    - Au cinéma : - L'homme et l'enfant, un nouveau couple éducatif ( Alice dans les villes, La vie de famille, Trois hommes et un couffin…)

     

    - L'enfant et la guerre (Jeux interdits, Rome ville ouverte, Au revoir les enfants, La vie est belle…)

    - L'enfant et la mort (De beaux lendemains, Le petit Prince a dit…)

     

    - Figures de l'éducateur (Zéro de conduite, L'argent de poche, Le Cercle des poètes disparus, La gloire de mon père, Ca commence aujourd'hui…).

     

     

    - Dans le film pour enfants :

     

     

    - En littérature :

     

     

    - Dans la littérature enfantine :

     

     

    Dans le domaine du

     

     

     

    4) L'éducation et la formation : ses discours, ses images, ses langages. (Contributions à un inventaire de l'imaginaire éducatif).

     

     

     

     

    Etude de "discours-types" : . Langages et discours saisis là où ils se disent, dans les livres, les articles, la presse spécialisée, les propos officiels, les rapports d'inspection, les journaux, etc.

     

    Le langage de l'ingénierie éducative

     

    Le langage de la Réforme

     

    Le langage de l'éducation aux nouvelles technologies (ô l'enfant mutant qu'on nous dit déjà dans l'univers complexe de l'informatique comme un poisson dans l'eau, quand l'adulte y perd pied !)

     

    Le langage de l'éducation artistique

     

    Le langage de l'insertion social, etc.

     

     

     

    Etude des grandes figures de l'imaginaire éducatif (cf supra) :

     

    figure du maître

     

    des autres partenaires de l'éducation et de la formation (CPE)

     

    du "parendélève"

     

    de l'élève etc.

     

     

    Etudes centrées sur de grandes métaphores du langage sur l'éducation et la formation :

     

    Par exemple, la métaphore, aujourd'hui toute puissante, de la gestion.

     

     

    1. Programme du séminaire. Quelques indications

     

    L'éducation scientifique et l'imaginaire (à partir du film documentaire "Espaces")

     

    Dessin et art enfantin

     

    Une figure paradoxale du maître à l'écran : Jean Vigo, Zéro de conduite

     

    Une image de l'enfance en littérature : ?

     

    Art et éducation. Education esthétique et modernité éducative. Un texte fondateur : Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme.

     

    Finalités et fonction de l'art : approches philosophiques et esthétiques.

     

    L'imaginaire cinématographique.

     

    Philosophie et pédagogie de l'image

     

    Conceptions et explorations de l'imaginaire :

     

     

    - Bachelard (La formation de l'esprit scientifique et les textes consacrés aux éléments).

     

    - Les thématiques psychanalytiques (Freud et Yung.)

     

    -Les travaux de Gilbert Durand (Les structures anthropologiques de l'imaginaire).

     

    - Les travaux de Daniel Hameline et de Nanine Charbonnel.

     

     

     

    E) Lire les Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme

     

     

    Situer l'œuvre et son importance dans le contexte de l'histoire des idées. Essentiellement : dans le prolongement de la philosophie kantienne, et dans la mise en place du "paradigme romantique" en art (Cf Sherringham).

     

     

    Situer rapidement l'auteur :

     

    Friedrich SCHILLER (1759-1805), poète et penseur, dramaturge, théoricien de l'esthétique. Auteur de poèmes philosophiques, de ballades, de récits. L'une de ces œuvres donne de l'auteur une image forte de poète de l'enthousiasme, de la liberté : l'Hymne à la joie, reprise par Beethoven dans la 9ème symphonie. Son premier drame Les Brigands (1781), connaît un succès considérable, comparable à celui du Werther. Orienté d'abord vers des études de théologie, les ordres d'un duc qui se pique de pédagogie l'écartent à 13 ans de cette voie. Karl Eugen, "despote prodigue et débauché" (selon l'E.U !), qui s'est mis en tête de devenir éducateur, l'inscrit dans son Académie militaire, institution destinée à former des fonctionnaires d'élite. On y pratique une pédagogie nouvelle, réduisant la part des humanités traditonnelles au profit des langues modernes, des sciences et de la philosophie. On s'y spécialise très tôt. Schiller choisira la voie de la médecine. La solidarité de l'âme et du corps demeurera l'un de ses credo philosophique. Il est nourrit de la psychologie de son temps, des philosophes empiristes anglais.

     

    L'expérience est très décevante. Comme on veut lui interdire toute activité littéraire, Schiller doit fuir. C'est l'exil et la perte de toute sécurité matérielle. Le culte de la liberté, la haine du despotisme trouvent là sans doute d'autres raisons. Ils imprègnent profondément l'œuvre.

     

    Depuis le temps de l'Académie, Schiller traverse une profonde crise. Elle est à l'image de toute une époque ébranlée par le monde nouveau ; le romantisme est une des expressions de cette "crise de civilisation". Schiller voit sa foi chrétienne ébranlée par le rationalisme, le déisme qui lui succède vacille à son tour, Schiller est en recherche d'une foi et d'une métaphysique.

     

    La lecture de Kant doit être située dans ce contexte : "J'ai dû poser des bornes à la raison pour faire place à la foi". Il faudrait ici évoquer toute la philosophie kantienne ! Schiller en retient deux princioes : la liberté, l'autonomie de la volonté ; et l'existence en l'homme d'un jugement particulier, le jugement de valeur esthétique, indépendant et irréductible. Une donnée capitale qu'il faut bien comprendre.

     

     

    Résumer le message central de l'œuvre

     

    Les lettres ont été adressées et dédiées au duc Chrétien-Frédéric de Holstein-Augustenbourg, et parurent pour la première fois dans Les Heures de 1795. Réimprimées en 1801. Dans les Heures, la première lettre était précédée de cette épigraphe française : "Si c'est la raison qui fait l'homme, c'est le sentiment qui le conduit". J.J. Rousseau.

     

    Une thèse générale : la beauté est le reflet, en ce monde sensible, de la liberté. (On peut y entendre aussi un écho platonicien). D'emblée, l'éducation esthétique est pensée dans une perpective politique globale. Schiller part de la Révolution française, qui a été selon lui un échec. Parce que l'humanité est divisée entre raison et instinct et que ces deux dimensions de l'homme total s'affrontent, la liberté ne peut s'épanouir. Le plaisir esthétique seul peut réconcilier l'esprit et les sens, et donner naissance à une société harmonieuse, équilibrée, juste, accomplie. Les artistes sont les meilleurs artisans du progrès politique, comme du progrès tout court. Schiller devient l'ami et l'allié de Goethe pour œuvrer au service de l'art et de la culture : il s'agit de purifier le goût, et de faire du théatre le "temple de la beauté".

     

     

    Une précision essentielle : l'éducation esthétique n'est pas ici un "complément" éducatif, qui viendrait après les autres : il s'agit bien de dire - c'est le sens fort du titre - que seuls l'éducation esthétique, l'art, éduquent pleinement, totalement, que seuls ils sont capables d'accomplir le destin complet de l'homme, de le réaliser totalement dans toute sa richesse et sa nature ou essence.

     

     

    Indiquer les passages et chapitres sur lesquels peut se centrer une première lecture.

     

    Lettre II. Lettre V. Lettre VI. Lettres VIII et IX. Lettre XII. Lettres XIV et XV. Lettres XXIII, XXIV, XV.

     

     

    Séance n° 7

     

     

     

    Education scientifique et imaginaire

     

     

    Problématique. Sciences et imaginaire.

     

    Film documentaire "Espaces", réalisation PATRICK GOUX, édition SNI-PEGC

     

    Visionnement, analyse.

     

    Synthèse : Alain KERLAN, Les sciences et l'imaginaire pédagogique, in Actes des Journées internationales, sur l'éducation scientifique et technique, XII, Chamonix, 1990.

     

     

    Séance n° 8

     

     

    L'ENFANT ARTISTE ?

     

     

    Autour de l'art et du dessin enfantin. Eléments pour une problématique.

     

    Introduction

     

    Réflexion inaugurale : comment comprendre par exemple une déclaration comme celle de Picasso si souvent citée : "j'ai mis toute ma vie pour apprendre à dessiner comme un enfant" ?

     

    Le thème de l'enfant artiste. Ses dimensions.

     

    1. Le dessin enfantin : sa nature, son style

     

    Première hypothèse : la nature du dessin enfantin peut-elle expliquer ce thème ?

    1. Documentaire : "l'enfant qui dessine"
    2. Analyse : Y-a-t-il là des éléments qui expliqueraient cette "modélisation" de l'enfance ?

    c) Eléments de cours : la nature du dessin enfantin

     

    1. L'enfance, un modèle pour l'artiste moderne ?

      Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne.

       

    2. Art et enfant :

     

    1. Georges Jean, "La rêverie vers l'enfance", Le Monde de l'éducation, décembre 96.
    2. Yves Bonnefoy, Entretien, Le monde de l'éducation, septembre 99

       

       

    3. Un poète-peintre parle du dessin d'enfant

       

      Henri MICHAUX, Essais d'enfants. Dessins d'enfants, in Déplacements. Dégagements, Gallimard, 1985.

       

       

    4. Art moderne et style enfantin

     

    Seconde hypothèse : N'y-a-t-il pas une parenté de style entre l'art pictural moderne et le dessin enfantin ? Exposé comparatif. Ce point fera l'objet d'une séance ultérieure.

     

     

    Séance n° 9

     

     

    IMAGES ET CULTURE

     

     

    AUTOUR DE L'IMAGE ADOREE ET REFOULEE.

     

    Introduction : expliciter la nécessité de situer la question de l'image dans toute sa dimension historique, philosophique, culturelle.

     

     

    I. PHILOSOPHIE DE L'IMAGE. ELEMENTS DE PROBLEMATIQUE

     

     

    1) "Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux!" PASCAL, Pensées (n°134 éd. Brunschvicg)

    Commenter ce texte, comme une expression emblématique de la critique philosophique de l'image, de l'iconoclasme de la tradition philosophique, et plus largement de la pensée dans son refus des images.

     

    Platon, bien sûr, à un bout. Mais aussi un état latent de la culture occidentale: dans l'éducation et la pédagogie, dans l'histoire de l'art (la photographie, le cinéma, auxquels le statut d'art à part entière est encore chichement mesuré...), le refus de la vidéosphère et de ses conséquences apocalyptiques chez de nombreux "intellectuels"...

     

     

    Bref, toute une dimension centrale de la civilisation européenne traversée, conduite par "le développement d'une logique spirituelle ennemie de l'image, et qui rebondit de siècle en siècle jusqu'au nôtre" (Alain BESANCON, L'image interdite, une histoire intellectuelle de l'iconoclasme, 1994, éd. Fayard, quatrième de couverture).

     

     

    2) Constat qu'il faut aussitôt flanquer d'un autre constat: la civilisation européenne est aussi le royaume des images, des représentations plastiques. (Comparez le temple grec, la cathédrale chrétienne, et la synagogue, ou la mosquée...)

     

     

    3) Linéaments d'une histoire de l'iconoclasme

    Texte: Alain BESANCON, Op. Cit., Introduction, pp. 9-10.

     

    - La Grèce, une situation "d'innocence": les dieux ont une figure.

    - La naissance et le développement de la philosophie: une réflexion, une appréciation, une "mesure" de ce déjà-là social.

    - L'héritage du platonisme, "deux postulations incoercibles de notre nature: a) que le regard doit se tourner vers le divin et que lui seul vaut la peine d'être contemplé; b) que le représenter est vain, sacrilège, inconcevable.

     

    La cité continue néanmoins de multiplier les images:

    a) parce que la philosophie est encore sans prise sur la vie de la cité;

    b) parce que la philosophie elle-même n'était pas unanime (Aristote, Stoïciens...)

    c) parce que le politique se superpose au religieux: l'image de l'empereur, image divine vivante.

     

    (Donner ensuite un aperçu de la suite de cette histoire, les 3 âges de l'iconoclasme -Platon, Calvin Pascal Kant, l'Abstraction contemporaine- en suivant L'Introduction. Lire particulièrement pp.17/18).

     

    4) Le problème philosophique de l'image

    a) Retour au jugement pascalien. Il est clair qu'il s'articule autour de 3 termes: l'original, la res-semblance, la copie. Pascal comprend l'image comme copie, reflet.

     

    On y trouve la "double possibilité de thématisation philosophique de l'image" (Cf. Encyclopédie philosophique universelle, art. "image"):

     

    Ce que met en question l'aphorisme pascalien, c'est la valeur de l'image d'art en tant que copie, l'image-copie, ou l'image-reflet.

     

    Platon la dénonce comme le faux objectif; chez les classiques, elle est la séduction dont il faut se déprendre, elle "détourne du droit chemin". L'image-copie est prise entre le faux (le faux du faussaire), et l'irréel. Chez un positiviste comme Durkheim, l'irréalité supposée du monde des images conduit à la condamnation de l'imagination pour immoralisme. (Cf. L'évolution pédagogique en France, L'éducation morale, et A.K. thèse). Chez Sartre même (Cf. L'Imaginaire), l'image est un non-être. Plus précisément: "La conscience imageante pose son objet comme un néant" (troisième caractéristique). Mais qu'en est-il alors de l'être de l'image d'art?

     

     

    b) L'image-copie n'épuise cependant pas toute la signification de la notion d'image. Dans l'icône, ou l'idole, on n'a plus affaire à une image-copie, mais image-présence, théophanie, manifestation de Dieu en une image sacrée. Dans l'icône, "l'image" du Christ est le Christ. Appelons cette seconde catégorie d'image image-symbole, en se rappelant de l'étymologie du terme, et de l'analyse qu'en propose Hans-Georg GADAMER: le tesson d'hospitalité, la partie qui vaut pour le tout (Cf. Actualité du Beau). Se rappeler aussi de ce que Walter BENJAMIN nomme la valeur cultuelle d'une oeuvre, par opposition à sa valeur d'exposition.

     

    Dans l'image-icône, dans l'image-symbole, nous avons:

     

    - présence "dialectique" du visible dans l'invisible;

    - chose "mondaine" comme support de l'absolu;

    - visée de l'absolu par-delà la visibilité du visible.

     

    Cette conception-là de l'image n'est pas totalement étrangère à la tradition. Chez PLATON, déjà, l'amour des corps n'est-il pas la première étape d'une dialectique ascendante vers le Bien, le divin? (Cf Le Banquet).

     

     

    c) Reste encore un troisième type d'image: l'image comme réalité mentale, production psychique d'une représentation figurée, qu'on pourra nommer l'image-fantasme. Pour marquer à la fois la postulation d'une source interne, d'une faculté (phantasia, imagination) psychique, et la nature interne, privée, irréelle (fantaisie) du produit...Images s'imposant au psychisme où s'expose son génie propre, dont les images du rêve donnent la forme canonique.

     

     

    d) La technique du 20ème siècle aura légué un autre type d'image : l'image virtuelle. La philosophie de l'image se trouve peut-être devant une interrogation inédite : pour la première fois, comme l'avance Régis Debray, il nous faut penser une image sans référent. L'image photographique était encore une émanation du réel ; ce n'est plus le cas de l'image numérique fabriquée sans "modèle".

     

     

    5) Qu'en est-il de l'image cinématographique?

    Remarquer que la réflexion mobilise ici nécessairement les trois conceptions de l'image distinguées.

     

    On réfléchira, pour "amorcer", à partir de ce texte :

    "(Je ne prétends pas ignorer qu'il y a des années de cela, Malick a traduit en anglais pour la série des " Northwestern University Studies in Phenomenology and Existential Philosophy " le texte de Heidegger, Vom Wesen des Grundes [Ce qui fait l'être-essentiel d'un fondement ou " raison ", dans Questions, 1] sous le titre 7he Essence of Reasons.). Si Malick a de fait trouvé une manière de transposer ces pensées pour notre méditation, il ne peut l'avoir fait, me semble-t-il, qu'en ayant découvert - ou en ayant découvert comment reconnaître - un fait fondamental de la base photographique du cinéma : que les objets participent de leur propre présence photographique ; ils participent de leur propre re-création sur pellicule ; ils sont essentiels à la production de leur paraître. Des objets projetés sur un écran sont par essence réflexifs, ils se produisent comme auto-référentiels, réfléchissant sur leur propre origine physique. Leur présence renvoie à leur absence, à leur situation en un autre lieu. Alors, si par rapport à des objets capables d'un tel " se-montrer ", les êtres humains se trouvent réduits dans leur signifiance, ou écrasés par le fait de la beauté laissée vacante, peut-être est-ce parce qu'essayant de se rendre maîtres du monde ou bien l'esthétisant (tentations qui sont inhérentes à la production du cinéma ou de tout art), ils refusent leur participation à ce monde."
  •  
  • Stanley CAVELL, La projection du monde (1971), Paris, Belin, 1999, p. 14.

  •  

     

  •  

    6) L'entrée dans la vidéosphère, le glissement de la logosphère à la vidéosphère

    Q: Qu'en est-il, qu'advient-il de l'art quand vient "la civilisation de l'image" et de l'audiovisuel, voire du virtuel ?

    Trois directions s'imposent ici à la réflexion :

    a) La reproduction généralisée de l'oeuvre d'art que la technique moderne conduit à une sorte de perfection. Qu'est-ce qui différencie alors l'oeuvre de sa reproduction? Quelle différence entre l'image et l'image de l'image? Entre l'exécution en concert et la reproduction numérique d'une oeuvre musicale? Entre l'oeuvre picturale et son double technique? Et encore: que devient la peinture (et la sculplture), dans son être et dans son histoire, quand advient la photographie, c'est-à-dire le devenir "technique" de l'image-copie, de l'image-reflet?

     

    b) La place des arts issus de l'image technique dans le système des Beaux-Arts: photographie, cinématographe, art video...Quelles esthétiques sont nécessaires? Quelles questions, quelles interrogations imposent-ils à l'esthétique générale?

     

     

    L'exemple emblématique du cinématographe: l'art de notre siècle, et peut-être un art mort-né, dont l'essentiel appartient au passé... C'est le drame de certains cinéastes (GODARD), la conclusion d'analyste comme S. DANEY et de philosophe comme R. DEBRAY.

     

    c) De l'image analogique à l'image numérique: quelles mutations? Comment font-elles retour sur l'image picturale? Et aussi, peut-être : quels déplacements ontologiques, gnoséologiques? Une réflexion sur l'image ne conduit-elle pas nécessairement à interroger "la réalité du réel"?

     

     

    Ce ne sont là que quelques pistes. On les explorera et les complétera en prenant appui sur l'œuvre de Régis DEBRAY Vie et mort de l'image. Une Histoire du regard en Occident (Gallimard, Paris, 1992), et sur le film que Régis Debray lui-même en a tiré.

     

     

    II. LES TROIS AGES DU REGARD SELON R. DEBRAY

     

     

    L'espace de l'image, de la relique à l'image virtuelle, de l'image d'art à l'image mécanique peut être déployée à partir de quelques exemples :

     

    1. "L'exposition de Lisbonne submergée par le virtuel" (Le Monde, 23/05/98)

       

    2. "Le plus grand Musée du Japon est consacré au faux" (Le Monde, avril 1998)

       

    3. "L'ostension" du suaire de Turin.

     

    Présentation de l'ouvrage de Régis Debray. Les grands moments et les enjeux de l'histoire de l'image.

     

    1. Le premier âge du regard. De la grotte à l'Eglise, l'idole.

       

      L'image et la mort, l'image et le sacré.

       

      Aux sources de l'image pp. 17/18

      L'étymologie pp. 19/21

      Les rites funéraires des Rois pp. 21/22, 27

      Image et magie pp. 31, 34/35, p. 29

      La mort indépassable pp. 37/39

       

       

       

    2. Deuxième âge du regard. De l'Eglise au Musée, l'art.

       

      L'art pour l'art, substitut religieux ? L'analyse de Bataille dans son Manet.

       

       

       

    3. Troisième âge du regard. Du Musée à l'écran, le virtuel.

     

    La peinture à l'épreuve de la photographie.

     

    Les thèses de Benjamin et la notion d'aura.

     

    Séance n° 10

     

     

    LE CINEMA ET L'IMAGINAIRE (1)

     

     

    Qu'est-ce que le cinéma ?

     

     

     

    Pas d'autre ambition pour cette séance (la première de 3 ou 4 séances centrées sur le cinématographe) que de définir le cinéma … à partir du cinéma lui-même, en recourant donc à des extraits de films et à des documents filmés consacrés au cinéma et à son histoire. Et cela en quelques étapes.

      

    1. LE CINEMA DES ORIGINES

     

    La première séance du cinématographe des frères Lumière, le 30 décembre 1985, 14 boulevard des Capucines. Deux comptes rendus de la presse de l'époque (Cf. Le Cinéma, Larousse, p.20/21 :

     

     

    De quoi parle-t-on ? Quel avenir envisage-t-on ? Quel public ? Qu'a-t-on vu ?

     

    On rappellera ici le passé scientifique du cinéma : comprendre le mouvement en le décomposant. Muybridge, Jules Etienne Marey, etc.

     

    ET POURTANT. Qu'est devenu quelques années plus tard le cinématographe ? La plus formidable machine à produire de l'imaginaire, à raconter des histoires, à produire de l'émotion.

     

    C'est le constat que fait Edgar MORIN dans un livre essentiel : Le cinéma et l'homme imaginaire, Paris, éditions de Minuit, 1965 (également en poche chez Gonthier Denoël) :

     

    "On se s'étonne pas [assez] de ce que le cinématographe se soit vu, dès sa naissance, radicalement détourné de ses fins apparentes, techniques ou scientifiques, pour être happé par le spectacle et devenir le cinéma…

    De quelle puissance interne, de quel "mana" était donc possédé le cinématographe pour se transformer en cinéma ?"

     

     

    1. LA FÊTE ET LE POÈTE

     

    Le cinéma naissant possède aussitôt deux visages, montre deux faces de l'imaginaire : il fait signe d'un côté vers la magie, le phénomène de foire, et de l'autre vers la poésie. D'un coté, le théâtre illusionniste, de l'autre la magie poétique de l'image.

     

     

    Ces deux visages ne doivent pas être dissociés. Le cinéma est dans cette identité de frontière. Ce que les jeunes poètes contemporains du cinéma admiraient le plus, ce n'était pas les tentatives esthétisantes du cinéma d'art, mais bien la magie poétique du cinéma populaire.

     

    On en trouve un magnifique témoignage chez un Aragon :

    "J'aime les films sans bêtise, dans lesquels on se tue et on fait l'amour…" (texte cité par René Clair, Cinéma d'hier, cinéma d'aujourd'hui, et reproduit dans Le cinéma Larousse, p. 18).

    Charlot sentimental et Charlot mystique.

     

    Ce cinéma contenait peut-être les chances d'une véritable culture populaire, qui subsiste encore chez un Truffaut ou un Woody Allen : un langage de l'affectivité et des émotions (la chose du monde la mieux partagée ?), une sensibilité conviviale, l'émotion ensemble.

     

    Mais une magie poétique étouffée dans l'œuf, de l'avis d'un Bunuel, comme si la société voulait en contenir les forces en sommeil :

    Texte de Luis Bunuel, Poésie et cinéma, reproduit dans Le cinéma Larousse.

     

    On explorera ces deux visages de l'imaginaire cinéma à l'aide de deux épisodes de L'encyclopédie audiovisuelle du cinéma français de Claude Jean Philippe.

     

     

    Visionnement 1 : Le cinéma forain

     

     

    Visionnement 2 : Dada et surréalisme au cinéma

     

     

     

    III. LE CINEMA ENTRE ÉMOTION ET NARRATION

     

     

     

    Le cinéma, machine à raconter des histoires et machines à produire des émotions. Machine à produire des émotions donc à raconter des histoires. Même "incohérente" l'émotion appelle du récit.

      

     

      

    1. LE CINEMA OU LA VIE RESTITUEE

     

    Il faut bien s'interroger sur la puissance émotionnelle du cinéma : d'où vient-elle ? D'où vient que le cinéma provoque si aisément le rire et les larmes ? Qu'on s'émeuve si aisément ? (Qui oserait n'avoir jamais essuyé une larme au coin de l'œil au sortir d'une projection ?)

     

    Une réponse traditionnelle évoque la notion d'impression de réalité. Le cinéma effacerait la frontière entre le réel et l'imaginaire. L'image cinématographique se donnerait comme le réel restitué, la vie revenue. Ce que la photographie figeait se mettrait à vivre, à respirer. Relire les comptes rendus de la première projection des Lumière.

     

    Il faudra revenir sur cette notion. Pour le moment, on soulignera que le cinéma se caractérise tout autant par les ambiguïtés de la présence/absence que par l'effet de réalité.

    "Lorsque la dernière image trépidante d'une scène s'évanouissait, que la lumière s'allumait dans la salle et que le champ des visions apparaissait à la foule comme une toile vide, il ne pouvait même pas y avoir d'applaudissements. Personne n'était là que l'on eût pu récompenser par des acclamations, que l'on eût pu rappeler par admiration pour l'art dont il avait fait preuve. Les acteurs qui s'étaient réunis pour ce spectacle étaient depuis longtemps dispersés à tous les vents. On n'avait vu que les ombres de leur performance, des millions d'images et les déclics les plus brefs en lesquels on avait décomposé leur action, la recueillant pour la restituer à volonté et aussi souvent qu'on le voudrait, par un déroulement rapide et clignotant, à l'élément de la durée. Le silence de la foule avait quelque chose de veule et de repoussant. Les mains restaient étendues, impuissantes devant le néant. On se frottait les yeux, on regardait fixement devant soi, on avait honte de retrouver l'obscurité pour regarder à nouveau, pour voir se dérouler des choses qui avaient eu leur temps, transplantées dans un temps nouveau, et renouvelées, fardées par la musique... On assistait à tout cela. L'espace était anéanti, le temps avait rétrogradé, le "là-bas" et le "jadis" étaient transformés et enveloppés de musique. Une jeune femme marocaine, sa poitrine pleine à moitié dénudée, s'approchait soudain de vous en grandeur nature... Confus, on regardait dans la figure de cette ombre séduisante qui semblait voir et qui ne voyait pas, que les regards n'atteignaient pas du tout, dont les rires et les signes ne visaient pas du tout le présent, mais étaient chez eux dans le là-bas et l'autrefois, de sorte qu'il eût été insensé de lui répondre".

     

    - Elle peut à l'inverse être analysée comme un surcroît d'être et d'émotion, comme chez le philosophe américain Stephen CARVELL dont on relira ici ce passage de La projection du monde :

     

    "(Je ne prétends pas ignorer qu'il y a des années de cela, Malick a traduit en anglais pour la série des " Northwestern University Studies in Phenomenology and Existential Philosophy " le texte de Heidegger, Vom Wesen des Grundes [Ce qui fait l'être-essentiel d'un fondement ou " raison ", dans Questions, 1] sous le titre 7he Essence of Reasons.). Si Malick a de fait trouvé une manière de transposer ces pensées pour notre méditation, il ne peut l'avoir fait, me semble-t-il, qu'en ayant découvert - ou en ayant découvert comment reconnaître - un fait fondamental de la base photographique du cinéma : que les objets participent de leur propre présence photographique ; ils participent de leur propre re-création sur pellicule ; ils sont essentiels à la production de leur paraître. Des objets projetés sur un écran sont par essence réflexifs, ils se produisent comme auto-référentiels, réfléchissant sur leur propre origine physique. Leur présence renvoie à leur absence, à leur situation en un autre lieu. Alors, si par rapport à des objets capables d'un tel " se-montrer ", les êtres humains se trouvent réduits dans leur signifiance, ou écrasés par le fait de la beauté laissée vacante, peut-être est-ce parce qu'essayant de se rendre maîtres du monde ou bien l'esthétisant (tentations qui sont inhérentes à la production du cinéma ou de tout art), ils refusent leur participation à ce monde."

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  • Stanley CAVELL, La projection du monde (1971), Paris, Belin, 1999, p. 14.

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    1. EMOTION ET MOUVEMENT

       

      Un exemple de mouvement : le début de Frenzy (HITCHKOCK), par exemple. Visionnement.

       

      Montrer que notre sentiment à sa source dans l'opposition entre l'immobilité du spectateur et le mouvement dans le film.

       

       

      La question du mouvement est très liée à celle de la spécificité du cinéma. Le cinéma primitif pose sa caméra devant le spectacle. L'art cinématographique commence avec le morcellement de l'espace et la mobilité de la caméra : découpage en plans, recomposition du montage. CADRE et PLAN

       

       

       

    2. VIE ET TOTALITE

     

    Dégager un dernier point : un film, c'est un tout, une totalité qui change. Une totalité organique, qui "respire". MONTAGE.

     

     

    Séance n ° 11

     

     

    LE CINEMA ET L'IMAGINAIRE (2)

     

     

    La puissance émotionnelle du cinéma

     

    Qui dit cinéma dit donc affectivité, émotion, sensibilité, et tout autant magie (image = magie, remarque Debray), rêve, irréel. Résumons, dans le prolongement des propos d'Edgar Morin : avec le cinéma, on dispose de la plus puissante machine à plonger dans l'imaginaire, à fabriquer du rêve et de la fiction. Mais aussi d'une culture de l'imaginaire qui invite à penser peut-être autrement la nature de l'imaginaire : non pas comme évasion, fuite dans le vide ("vanité" de l'image, disait Pascal), mais accès au monde, surcroît ontologique. Penser la puissance de l'image-cinéma entre ces deux pôles que la description de Thomas Mann et la réflexion de Stanley Carvell opposent. Comprendre sa force émotionnelle dans cet entre-deux: sentiment de réalité, mais conscience de l'irréalité.

     

    Insistons : a) le passage à la fiction, à l'imaginaire, n'est pas une utilisation après-coup, mais bien un pouvoir qui sourd de l'image cinématographique même ; b) l'imaginaire cinématographique s'impose au sein même de la "fidélité" à la réalité ("objectivité" de "l'objectif) , de la mimesis.

     

    Il est aisé de s'en convaincre en reconnaissant que l'on peut tous être "bon public" au cinéma, et s'émouvoir à bon compte. "Le pire cinéma reste malgré tout du cinéma, c'est-à-dire quelque chose d'émouvant et d'indéfinissable" (J.F. LAGLENNE). On doit donc se poser la question : pourquoi le cinéma a-t-il cette puissance émotionnelle ?

     

     

    1. L'ETAT FILMIQUE. PSYCHOLOGIE DU SPECTATEUR

     

     

    1. Le règne de l'émotion

       

      Plongeons-nous dans l'état psychique où nous installe le cinéma dès qu'il "'fonctionne". Des rires, des sourires, des larmes, de la joie, de la tendresse, de l'émerveillement, de la peur, du plaisir : bref, de l'émotion.

       

      Mais d'abord, de quelles conditions avons-nous besoin pour que ça marche ? La "jouissance-cinéma", à quoi ça tient ? Cf. Texte Claudine EIZYKMAN.

       

       

       

    2. L'impression de réalité

       

       

       

    3. Etat filmique et état onirique

       

       

       

    4. Le "sommeil de la raison" ?

     

     

    1. LA "PRESENCE - ABSENCE"

       

       

       

       

    2. CINEMA ET TEMPS. LA DUREE CINEMATOGRAPHIQUE

       

       

       

       

    3. LES PUISSANCES DE L'IMAGE-MOUVEMENT

     

    Comprendre ici la magie et le pouvoir poétique du cinéma.

    1.  
    2. Le reflet et le double

       

      L'effet-miroir (Amengual).

      L'homme et son double. Cf. texte E. Morin, Le cinéma ou l'homme imaginaire, pp. 25/26.

       

       

       

    3. L'effet cosmique et l'effet démiurgique

       

       

       

    4. L'exaltation et le surcroît ontologique

     

    A la question : "Pourquoi faites-vous de la sculpture ?", André Beaudin répondait : "Pour satisfaire une curiosité plus grande. Me voir de dos…" N'est-ce pas exactement ce que réalise le cinéma ? "Quand je pars", note B. Amengual (Clés pour le cinéma, Paris, Seghers, p. 109) "je me vois partir de dos. Je puis me mettre à la fenêtre pour me voir passer dans la rue".

     

    Plus encore : dans le récit cinématographique, le monde en son entier paraît se rassembler autour des images essentielles. " Tout se passe comme si le monde lui-même s'altérait, par une série d'accommodations, pour se regrouper autour de l'objet essentiel. Les jambes d'un homme qui marche, si elles remplissent l'écran, ne m'indiquent pas le déplacement d'une vision, mais que l'univers, dans ce moment, s'agglutine en entier à ces pas" (P. Desgraupes, cité par Amengual, p. 107).

     

    Comme si à l'écran l'image hissait le fait au concept, le réel à l'Idée. Un arbre sur l'écran, ce n'est pas cet arbre-ci, donné purement factuel, c'est "L'ARBRE". A la fois concept et chair, concept incarné, réalisation de l'Idée.

     

    "Dans le cinéma, la fumée d'elle-même s'élève, la feuille réellement tremble : elle s'énonce elle-même comme feuille tremblant au vent. C'est une feuille telle qu'on en rencontre dans la nature, et c'est en même temps beaucoup plus, dès le moment qu'étant cette feuille réelle, elle est aussi, elle est d'abord, réalité représentée. Si elle n'était que feuille réelle, elle attendrait d'être signifiée par mon regard. Parce que représentée, dédoublée par l'image, elle s'est déjà signifiée, proférée en elle-même comme feuille tremblant au vent" (Roger MUNIER, L'image fascinante, revue "Diogène", juillet 1961).

     

    AU CINEMA, TOUT SE PASSE COMME SI LE REEL SE PROFERAIT DE LUI-MEME. REEL ET LANGAGE Y SONT INDISSOCIABLE. COMME SI LE MONDE DEVENAIT CHOSE MENTALE. Dès lors que le monde se donne dans le relief du temps, de la durée, il se donne lui-même sur le mode d'être d'une conscience, il devient chose mentale, sans cesser d'être en chair et en os.

     

     

    Séance n° 12

     

     

    LE CINEMA ET L'IMAGINAIRE (3)

     

     

    Cinéma et narrativité. Le récit filmique et son analyse

     

     

    (D'abord terminer séance 11 "La puissance émotionnelle du cinéma" : IV. Les puissances de l'image-mouvement.)

     

    1.  
    2. LE CINEMA, MACHINE A RACONTER DES HISTOIRES

     

    Il faut repartir de là. Comme le disent Edgar Morin et Enrico Fulchignoni, avec le cinéma a été inventé la plus puissante machine à produire du récit.

     

    Pourquoi ce pouvoir, cette disposition de l'image cinématographique pour la narration ? Pourquoi ce pouvoir du reflet ?

     

    "Le réel ne raconte pas d'histoire, a dit souvent Sartre. L'extraordinaire n'est-il pas pourtant que son reflet soit lui, déjà, le commencement, et en tout cas, le moment daté d'une histoire ?" (Barthélémy AMENGUAL, Clefs pour le cinéma, Paris, Seghers, p. 26)

     

    - La réponse et l'explication se situent à nouveau dans l'ontologie de l'image cinématographique (mouvement et impression de réalité, "effet de miroir", "effet démiurgique", "effet ontologique", totalisation…). Plus généralement, la narrativité est bien un aspect propre de l'image au cinéma.

     

    - Mais la narrativité est d'abord un mode fondamental de la pensée humaine. "Avant de penser, l'homme à commencé à raconter des histoires", rappelle le linguiste Greimas, qui poursuit : "La narrativité est la forme très générale de l'esprit, de la pensée humaine. Au fond, elle est une des formes par laquelle l'homme est présent au monde, se manifeste au monde" (Cité par Amenguel, p. 36). Cf. les travaux de Paul Ricœur . Evoquer aussi le rôle des "récits de vie" en formation.

     

     

     

    II. UN RECIT CONSTRUIT

     

    Les concepts clés du récit filmique : cadre, plan, montage.

     

     

    1) La notion de PLAN est centrale. Le cinéma commence avec le découpage en plans.

     

     

     

    Le sentiment de la durée, comme dimension ontologique, immanente, est lié à l'opération fondatrice du cinéma comme art, le découpage en plans. "Le cinéma exige un montage dans lequel le spectateur ait la sensation du temps", écrit Boris Eikhembaum. D'où cette définition du plan selon Gilles Deleuze : "une perspective temporelle", "une coupe mobile dans la durée".

     

    "C'est de la division en plans, c'est-à-dire de l'indépendance de l'opérateur et du metteur en scène par rapport à l'objet que naquit la possibilité d'expression du cinéma, que le cinéma naquit en tant qu'art" (André Malraux).

     

    Il faut insister sur ce paradoxe, qui est le paradoxe même de l'art : la "vie" échappe à la reproduction. Pour faire "vivant", il faut reconstruire. L'artifice, le détour sont nécessaires.

     

     

    2) La notion de PLAN est indissociable de celle de MONTAGE.

     

    Le montage engage le film comme totalité. "Le montage, c'est le tout du film, l'Idée", dit Eisenstein.

    "Du début à la fin d'un film, quelque chose change, quelque chose a changé. Seulement, ce tout qui change, ce temps ou cette durée semble ne pouvoir être saisi qu'indirectement, par rapport aux images-mouvements qui l'expriment. Le montage est cette opération qui portent sur les images-mouvements, pour en dégager le Tout, l'idée, c'est-à-dire l'image du temps" (Gilles DELEUZE, Cinéma 1, L'image-mouvement, Paris, éd. De Minuit, 1983, p.46).

     

     

    1.  
    2. L'ANALYSE FILMIQUE. UNE METHODE MINIMUM

     

    Un film est donc "un Tout qui change". On s'inspirera de cette définition pour présenter une "méthode" d'analyse filmique dont l'esprit est emprunté à Roland BARTHES.

     

    Roland BARTHES (Cf. "Par où commencer", in "Poétique", n° 1, 1970) propose de s'appuyer sur l'exemple de L'île mystérieuse de Jules Verne :

     

    a) "Etablir d'abord les deux ensembles limites, initial et terminal, puis explorer par quelles voies, à travers quelles transformations, quelles mobilisations, le second rejoint le premier ou s'en différencie".

     

    b) "Le travail qui reste alors à faire (immense) consiste à suivre les premiers codes, à en repérer les termes, à esquisser les séquences, mais aussi à poser d'autres codes, qui viennent se profiler dans la perspective des premiers".

     

     

     

    1. L'expression filmique et les matières de l'expression

      

    1. La série visuelle

       

       

    2. La série linguistique

       

       

    3. La série non linguistique

     

     

    1.  
    2. De l'ensemble initial à l'ensemble terminal

     

    1.  

       

    2. ANALYSE D'UN MOYEN METRAGE : LE C=8CUR REVELATEUR

     

    L'objectif du travail sera ici de s'initier à la "posture" d'analyse cinématographique.

     

     

    Séance n° 13

     

    Pour "embrayer" sur le second semestre :

     

    1) Présentation d'une nouvelle revue consacrée au cinéma et à l'image, d'une portée philosophique incontestable : L'image, le monde. Présentation de la thèse de son éditorial : on ne peut plus aujourd'hui analyser le monde sans analyser l'image du monde, et de son exemple convaincant : comment la "guerre" du Kosovo a été filmée-télévisée, et le sens qui découle de cette mise en image de note histoire.

     

    2) Réflexion autour d'un film dont le héros est un enfant et qui parade au sommet du Box-office : Le sixième sens. Que faut-il en penser ? Analyses proposées ?

     

     

     

    A

     

     

    Cette première séance du second semestre sera une séance de TD sur l'analyse filmique. Reprise des éléments qui ont été très rapidement (trop), et surtout travail collectif d'initiation à l'analyse filmique.

     

     

    I. Principes et méthodes de l'analyse filmique. Rappels

     

    (Voir séance précédante. Présentation des "matières de l'expression" et de la méthode basée sur la comparaison du "début" et de la "fin" d'un film)

     

     

    II. Analyse d'un moyen métrage : Le cœur révélateur, de J. Dassin (d'après une nouvelle d'Edgar POE)

     

    Sans s'avancer beaucoup dans l'analyse, on utilisera ce récit classique pour s'entraîner à l'analyse des images et des plans, du "vocabulaire" cinématographique.

     

     

    III. Analyse d'un moyen métrage consacré à l'école et à l'enfance : Zéro de conduite, de Jean VIGO.

     

    Présentation du film et de l'auteur.

    Visionnement

    Repérage des ensembles initiaux et terminaux

    Mise en évidence des ensembles intermédiaires : comment le récit avance, vers où ?

    Quelles significations cette analyse permet-elle d'accorder au film ?

     

     

     

     

     

    B

     

     

    Il est maintenant urgent de bien arrêter les sujets et les formes de travail des maîtrises.

    Rappel du calendrier.

    Précisions concernant le dossier d'accompagnement.

    Organisation des séances à venir :

     

    - séances autour des mémoires (prises en charge par les étudiants) : exposés de l'état des travaux, exposés de problématiques, exposés documentaires (livres ou articles) ;

     

     

     

     

    C

     

    Le programme des séances à venir puisera donc dans ces thèmes :

     

     

     

     

    - Finalités et fonction de l'art : Aristote, Platon, Hegel, Nietzsche, Kant, Marcuse, Passeron, et les autres.

     

    - Les grands paradigmes esthétiques : classique, romantique (cf Scherringham). Naissance et invention de l'esthétique.

     

    - Art et société

     

    - Un texte fondateur : Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme.

     

    - Le refus de l'art en éducation : Platon, Durkheim, Alain.

     

    - Art et éducation esthétique à l'âge de l'industrie culturelle. (Walter Benjamin (La distinction de Benjamin, valeur d'exposition - valeur rituelle, appliquée à l'éducation ?, Adorno, Marcuse, Hannah Arendt, Finkiekraut, etc…))

     

     

    - Art, éducation esthétique et démocratie (Michaud, La crise de l'art contemporain ; Luc Ferry, Homo Aestheticus).

     

     

    - Charles Taylor : l'esthétique comme modèle éthique de la réalisation de soi. Art et morale de l'authenticité. Education esthétique et modernité éducative.

     

     

     

    Plan de travail des séances à venir (second semestre)

     

     

    Le principe général sera une alternance de séminaires consacrés à des exposés d'étudiants (état de la recherche, exploration de la problématique, réflexion méthodologique, présentation des premiers résultats, compte-rendu de lecture, etc) et de séances "magistrales" consacrées à des questions de philosophie de l'art.

     

     

     

     

    09 février 2000 : Platon, la fondation de l'esthétique classique

     

     

    16 février 2000 : Exposés :

    1) Sur la pédagogie de la musique (Christian Massard)

    2) Sur le symbole comme "outil" pédagogique (Eric Torregrosa)

     

     

    01 mars 2000 : Aspects de l'esthétique romantique (Hegel, Nietzsche…)

     

     

    08 mars 2000 : Exposés :

    1)

    2)

     

     

     

    15 mars 2000 : Kant et l'esthétique moderne.

     

     

    22 mars 2000 : Exposés :

    1)

    2)

     

     

     

    29 mars 2000 : Art et société.

     

     

    05 avril 2000 : Exposés :

    1)

    2)

     

     

     

    12 avril 2000 : l'art à l'âge de l'industrie culturelle.

     

     

    26 avril 2000 : Exposés :

    1)

    2)

     

     

     

    03 mai 2000 : Art et démocratie.

     

     

    Séance n° 14

     

     

    LA PHILOSOPHIE PLATONICIENNE ET LES FONDEMENTS DE L'ESTHETIQUE CLASSIQUE

     

     

    Préambule : comment et pourquoi la place qu'on accorde à l'art dans l'éducation dépend du sens et de la valeur qu'on lui accorde. Plus que jamais, l'éducation est ici tributaire d'une philosophie. Deux exemples : le romantisme (Nietzsche, Schiller, ), le rationalisme positiviste (Durkheim).

     

     

    1. Introduction. Le paradoxe du platonisme

    L'importance capitale de la pensée de Platon pour l'esthétique philosophique, la pensée philosophique de l'art et du beau, est d'emblée marquée par le paradoxe :

     

    "La philosophie classique du beau et de l'art naît en Grèce au 4ème siècle avant notre ère. C'est Platon qui en fixe les règles et en définit le statut" (Marc SHERRINGHAM, Introduction à la philosophie esthétique, Paris, Payot, 1992, p.37). Cette affirmation inaugurale sera néanmoins suivie quelques pages plus loin d'une partie titrée: "L'infériorité de l'art"...

     

    "Si la philosophie de l'art commence avec Platon, elle commence, paradoxalement, par une condamnation des "Beaux-arts" et de la poésie." Jean LACOSTE. La philosophie de l'art, p.5). Et l'auteur de préciser aussitôt que Platon (contrairement peut-être à KANT...) connaît bien et de première main l'art de son temps, dont il parle en vrai connaisseur.

     

    PANOFSKY résume bien, dès la première phrase de son introduction à Idea la nature paradoxale de la fondation platonicienne:

     

    "C'est Platon qui a conféré au sens et à la valeur métaphysiques de la Beauté des fondements universels, et dont la théorie des Idées a pris pour l'esthétique des arts plastiques une signification toujours croissante; poutant, il ne fut pas pour sa part, en mesure de juger équitablement ces mêmes arts platiques"(p. 17)...Il est "légitime de désigner la philosophie de Platon sinon comme une ennemie déclarée de l'art, du moins comme une philosophie étrangère à l'art"(p.18)

     

    Il est donc légitime de marquer au seuil de la fondation platonicienne qui est encore notre héritage au moins un double paradoxe, ontologique et culturel:

     

    1) D'un côté, la dénonciation ontologique de l'art comme leurre, illusion, mensonge, de l'autre, une quête ontologique de la Beauté, une exaltation ontologique de la Beauté: voyez le Phèdre, le Banquet, en regard des dénonciations bien connues de "l'art mimétique" dans la République (Livre X), et le Sophiste. Premier paradoxe, ou première expression d'un paradoxe général.

    2) D'un côté, un geste inaugural de refus, de rejet, d'exclusion. C'est bien Platon qui nourrit de toute sa puissance philosophique la méfiance traditionnelle des philosophes envers l'art et les artistes. Les poètes évincés de la Cité saine; le statut existenciel, politique inférieur des artistes, l'ambition de délivrer l'éducation de l'emprise des poètes, et même d'Homère, au profit des philosophes; l'invention du dialogue philosophique contre la littérature, etc... De l'autre, c'est bien dans le platonisme que s'enracine le modèle classique et toute la valorisation de l'art et de l'oeuvre d'art dans l'occident classique.

     

    Ce dernier point, qui parait renverser le platonisme contre lui-même, PANOFSKY en donne une illustration saisissante en commentant un texte du XVIème siècle de MELANCHTON:

     

     

    Cf PANOFSKY, Idea, pp.22-23

     

     

    De ces considérations introductives, retenons au moins que la pensée platonicienne des Beaux-Arts et celle de la Beauté ne sont pas immédiatement superposables.

     

    Plan: 1) Qu'est-ce que le Beau? (Lecture de l'Hippias majeur.) - 2) La Beauté pure, ou l'éclat de l'être (Le Phèdre, le Banquet; retour sur l'Hippias majeur. La beauté classique) - 3) Le statut inférieur de l'art et des artistes (République, Sophiste, Phèdre...) - 4) Art et Mimesis (Platon et l'art de son temps, les deux espèces de l'imitation...) - 5) Conclusion : l'héritage esthétique du platonisme.

     

     

     

     

     

    2. Qu'est-ce que le Beau?

    Texte de base: HIPPIAS MAJEUR.

     

     

    NB. On s'inspirera ici avec profit du commentaire de Marc Sherringham

     

    Description du dialogue et de ses principales articulations. Tout le texte est organisé autour de deux questions fondamentales et fondamentalement opposées, celle d'Hippias, le sophiste qui "sait" tant de choses, celle de Socrate, qui "sait" si peu. On se doute bien qu'il ne s'agit pas du même "savour"! D'où découleront six réponses possibles. Trois chacun. A la fin , il ne restera plus que la seule question de Socrate, mais sans réponse satisfaisante

     

    L'enjeu du dialogue. On le cernera en posant la question: délivre-t-il une esthétique, une philosophie de l'art platonicienne? Oui... et non. L'Hippias majeur, comme de nombreux dialogues socratiques, n'aboutit pas. Dialogue aporétique? Pas vraiment. Plus encore que bien d'autres, tout se passe comme s'il s'agissait de dégager le terrain à coup de dichotomies et d'exclusions conceptuelles. Comme si importait moins d'accéder à la définition du beau que d'opposer, à l'occasion (privilégiée? significative?) de la recherche sur le beau, la voie de l'être et de la raison socratique au discours sophiste. L'esthétique, au même titre que l'éthique, est pour Socrate un bon terrain où prendre son appel et indiquer le bon choix, celui de l'être.

     

     

    Les tentatives de définition de Hippias.

     

    La question de Socrate, nulle surprise pour nous! porte sur la nature du beau. Ce n'est pas ce qu'entend Hippias, qui lui substitue une autre question: "Ce que demande de savoir celui qui pose cette question, n'est-ce pas ce qu'il y a de beau?" (287d p.30). Non plus la nature de, mais un exemple, un exemplaire de. Socrate corrige (cf sa réponse), en vain. Hippias ignore la différence des deux questions...

     

    Première tentative. Une belle vierge, Socrate, voilà ce qui est beau! Une belle jument! Une belle lyre!

     

    Cf. Hippias majeur, 287e-289e (pp.30/33, Oeuvres I)

     

    C'est très clair: Pour Hippias, la beauté est toujours particulière. La particularité, la singularité, l'unicité sont pour lui inséparables de la définition du beau. Le beau est toujours un cas particulier. Seul l'être singulier, la chose singulière, dans leur singularité même, peuvent être dits "beau", "belle". Comme si le beau, la beauté ne relevaient pas d'une définition générale, échappaient par définition à la généralité de la définition.

     

    "Il s'agit, avec Hippias, d'une pensée de la particularité pure de la beauté qui ne renvoie à aucune généralité fondatrice...Hippias propose d'abord un exemple singulier qui renvoie moins à une catégorie générale, celle de la beauté des femmes, qu'à un cas particulier, celui d'un être unique, cette jeune fille que je peux voir maintenant". (M. SERRINGHAM, p.39)

     

    Deuxième tentative de Hippias: "la beauté, par l'adjonction de quoi se révèle le beau... n'est rien d'autre que l'or! (289e, p.33)

     

    Voilà donc le pauvre Hippias qui tente d'intégrer les objections et la rhétorique socratique...Et accouche inévitablement d'une monstruosité! Il a bien retenu que la définition exige qu'on identifie le commun d'une multiplicité, mais il ne déroge pas à son principe de singularité. D'où son équation: qu'est-ce qui est singulier, chose singulière, et pourtant commun à toutes sortes de choses belles? Réponse: l'or! Et Voilà Hippias enfermer dans une contradiction: la recherche d'un "particulier général"!

     

    Voilà à quelle impasse Socrate conduit le bel esprit Hippias, et qu'il n'a bien entendu nulle difficulté à réfuter! A entendre Hippias, Phidias serait donc un très mauvais sculpteur, pour choisir l'ivoire plutôt que l'or...Cf 290ab, p.33.

     

    (On remarquera au passage à la suite de Sherringham que du même coup Socrate aura exlut la matière, même précieuse, du domaine de la définition du beau. Ce goût-là, pour le matériau, sera pour longtemps marque des peuples barbares...)

     

     

    Troisième tentative. "Ce qui, toujours, pour tout le monde, partout, est le plus beau pour un homme, c'est d'être riche, d'être bien portant, d'être honoré par les Grecs, de parvenir à la vieillesse, d'ensevelir dignement ses propres parents, d'être soi-même enterré, dignement et magnifiquement, par ses propres enfants" 291de, p.35

     

    Toujours dans un esprit de compromis avec l'exigence socratique, Hippias propose...un troisième type d'exemple, cette fois une totalité singulière. Quelque chose d'à la fois un et multiple, l'unité d'une diversité: la vie heureuse. Socrate n'a aucune peine à montrer que cette totalité-là est irrémédiablement incomplète, et nullement universelle.

     

    Voilà donc Hippias et la voie qu'il tentait d'emprunter hors-jeu, hors-circuit! Socrate va reprendre les rennes, avec un élève studieux, cette fois. Hippias s'est comporté dans cette première partie du dialogue comme l'un de ces esprits adolescents peu férus de raison philosophique, et qui ne peuvent que proposer des exemples quand il s'agit d'essence! Quel professeur de philosophie ne reconnaîtrait en effet dans les tentatives maladroite de Hippias l'argumentation de tel élève débutant, quel professeur de classe terminale ne reconnaîtra les difficultés de ses jeunes élèves à abandonner le concret et l'exemple pour l'abstrait et la définition, bref à renoncer à l'immédiat pour entre dans la médiation philosophique?

     

     

    Telle est bien la voie socratique, l'esthétique philosophique: on ne peut pas dire immédiatement ce qui est beau, il faut en passer par la médiation d'un savoir du beau. (Chez Hippias, au contraire, l'immédiateté première du rapport au beau est encore très perceptible).

     

     

    Mais on peut comprendre autrement l'attitude de Hippias, y voir autre chose qu'une maladresse philosophique: une autre esthétique, une esthétique de la singularité, une esthétique qui refuse le coup de force socratique de l'universel contre le singulier. Quelque chose que NIETZSCHE réhabilitera contre le socratisme. Bref, une esthétique qui mérite une autre considération. Il n'empêche que l'esthétique philosophique se constitue par cette exclusion d'une pensée de la singularité.

    Il convient de lire dans cette perspective la protestation de Hippias contre la méthode philosophique, au nom des "objets concrets de la réalité": cf. 301b (p.50 éd.Pléiade). Elle va ici plus loin, elle touche plus juste que celle du Petit Hippias: cf. 369 bc, p.9. Précisément parce qu'il s'agit d'une valeur peut-être rebelle à cette méthode-là?

    Et de lui opposer la détermination socratique à rechercher "le beau qui n'est que beau": Hippias majeur, 292 d p.37. A rassembler la multiplicité des choses belles dans l'unité de l'essence du Beau, à dire "ce qui par sa présence fait paraître belle chaque chose où il est présent" (294 a, p.39).

     

    On sait que la recherche de l'Hippias n'aboutit pas. Elle n'avait d'ailleurs pour ambition que de déblayer le terrain pour indiquer la route du bon choix, le choix de l'Etre. Avant de l'emprunter en suivant Platon, il faut tout de même s'arrêter sur les quatre définitions du beau qu'examine Socrate avant de rompre, dans la mesure où se sont quatre définitions canoniques qui traverseront et fonderont l'esthétique classique.

     

    Première définition: la convenance, ou l'harmonie: 293 e, p.38. Il s'agit avant tout d'un rapport entre les parties et le tout, par lequel l'unité de ce dernier s'impose à la multiplicité des parties. On retrouvera cette conception chez BOSSUET: "La beauté, c'est-à-dire la justesse, la proportion de l'ordre" ( cité par Jean Lacoste, L'idée du beau, p.12) et encore chez DIDEROT: "L'unité du tout naît de la subordination des parties; et de cette subordination naît l'harmonie qui suppose la variété" (Pensées sur la peinture, in Oeuvres esthétiques, éd. Garnier, p.760.). C'est la même définition qui inspire le fameux nombre d'or (1,618), la section d'or, la divine proportion (une proportion telle qu'entre le petit segment (AC) et le grand segment (BC) il y a le même rapport qu'entre l'ensemble (AC + BC) et le grand (BC)) recherchée dit-on par les peintres de la Renaissance.

     

    Seconde définition: l'utile: 295 c, p.41. Il s'agit au fond de la convenance fonctionnelle. La beauté dès lors n'est rien d'autre que la forme optima d'adaptation à une fin. On sait comment KANT tentera de sauver l'utilité du beau de l'urilitarisme: c'est la fameuse finalité sans fin, et la distinction entre la finalité externe, "utilité" proprement dite, et la finalité interne, ou perfection. La définition socratique court bien jusqu'à KANT. On lui doit la structure de la Critique de la faculté de juger: première partie, Critique de la faculter de juger esthétique, deuxième partie, Critique de la faculté de juger téléologique. D'ailleurs l'Introduction est centrée sur le principe de finalité, qui est bien au coeur de la troisième Critique. Et c'est le beau naturel que Kant considère en premier lieu.

     

    Troisième définition: le Bien: 297 ad. La fortune de cette définition est considérable. Ce qu'elle met en place, c'est une relation problématique entre le Bien et le Beau. Le Beau n'est pas le Bien, et pourtant ne fait-il pas signe vers le Bien? KANT lui aussi devra se coltiner avec cet héritage platonicien...Dans le Banquet comme dans la Critique, le Beau n'est que l'image du Bien.

     

    Quatrième définition: le plaisir pur des sens: 298 a, p.45. Ici Platon-Socrate est au bord de l'esthétique moderne, qui fonde la beauté sur l'expérience d'un plaisir... Mais c'est peut-être une illusion rétrospective? Comment un plaisir des sens peut-il être pur, non empirique? On connaît la solution kantienne: le pur plaisir esthétique repose sur le libre jeu des facultés subjectives...L'empirique n'est que l'occasion d'un plaisir a priori.

     

     

    3. La beauté pure, ou l'éclat de l'être

     

    Ne perdons pas toutefois de vue que Socrate récuse toutes ces définitions. La tentative de définir n'a pas sa fin en elle-même. Elle est un mouvement vers la beauté absolue, objet d'une saisie non plus esthétique, mais purement intellectuelle. L'intérêt pour le beau est comme une planche d'appel pour sauter du sensible dans l'intelligible, un point de retournement du sensible sur lui-même, de rupture.

     

    1.3.1. On peut en effet montrer (en suivant Jean LACOSTE, La philosophie de l'art, ch.1, pp.16/18, L'idée de Beau, pp. 12, 19 sq. notamment) que toutes les définitions du Beau qu'examine Socrate sont des avancées vers la vérité suprasensible, des tentatives pour conduire l'âme au-delà du corps.

    a) Le beau définit comme plaisir pur, c'est-à-dire plaisir sans mélange, qui ne naît pas de la cessation d'une peine: n'est-ce pas déjà celui d'un corps émancipé de sa part la plus obscure? Quelle est donc la pureté de ce plaisir? Plaisir des couleurs, des formes, des sons des parfuns, répète Socrate:

     

    Philèbe, 51a 52e, p. 610/611

    Il y a dans ce texte comme l'anticipation d'un art abstrait, géométrique, qui ne considérerait du sensible que sa structure formelle, mathématique (la musique pure: la pureté d'une onde dans sa formulation mathématique! On songera par exemple au pavillon Philips de Yannis XENAKIS).

     

    Si le plaisir pur est beau, c'est non seulement parce qu'il suppose un corps libéré du besoin -sans mélange, sans négativité- et invite à chercher une autre réalité; c'est aussi qu'il est déjà d'une certaine façon trace, manifestation de l'intelligible comme effacement du sensible, assomption de l'intelligible dans le sensible.

     

    b) Le plaisir pur est donc déjà plaisir de la juste proportion des parties et de l'harmonie (harmonia désigne la d'ailleurs la proportion de l'octave découverte par Pythagore) du tout, plaisir de la convenance. Si "partout mesure et proportion ont pour résultat de produire la beauté", comme le dit le Philèbe (64e, p.630), cette beauté n'est pas propre à l'oeuvre d'art, elle appartient tout autant au constructeur de navires qu'au peintre: Comme harmonie, la beauté est définie comme la réalisation d'un ordre intellectuel.

     

    La convenance, l'harmonie est toujours formelle: elle s'adresse à la fois à l'oeil et à l'esprit, à la vue et à l'intelligence. Dans la beauté qui se donne à l'oeil, la culture classique décèle le "raisonnement caché", selon la formule de BOSSUET:

    "La beauté, c'est-à-dire la justesse, la proportion de l'ordre ne s'aperçoit que par l'esprit, dont il ne faut pas confondre l'opération avec celle des sens sous prétexte qu'elle l'accompagne. Ainsi, quand nous trouvons un bâtiment beau, c'est un jugement que nous faisons sur la justesse et la proportion de toutes les parties en les rapprochant les unes des autres. il y a dans ce jugement un raisonnement caché que nous ne percevons pas à cause qu'il se fait fort vite". (Cité par Jean Lacoste, L'idée du Beau, p.12). "La convenance", commente Lacoste, "relève à la fois de la vue et du jugement parce qu'en elle se manifeste en fait un ordre mathématique et géométrique du monde.".

     

    c) La définition du beau comme l'utile enfin, comme convenance fonctionnelle, consacre le divorce entre l'intelligible et le sensible. La beauté, conformité à une fin, est la saisie intellectuelle d'un rapport entre la fin et le moyen, et en fin de compte un pas vers la saisie d'un bien supérieur. C'est la finalité qui fonde en définitif l'harmonie, comprise comme beauté intrinsèque: la beauté de la coque du navire, l'harmonie de son dessin, témoignent de sa parfaite conformité à sa fonction. La beauté ne peut être que relative à autre chose qui est un bien.

     

     

    Voilà donc l'aspect le plus précieux du beau: d'engager un mouvement qui nous détache des sens, et qui nous conduit peu à peu vers la recherche intellectuelle du vrai bien. Mouvement de purification du plaisir (et non négation de sa réalité comme chez les Cyniques), au terme duquel il sera remplacé par la saisie intellectuelle des essences. L'art du beau, chez PLATON, comme le note Jean Lacoste, ce n'est nullement l'un des beaux-arts au sens moderne -on connaît ce qu'en pense Platon- mais l'art suprême: la dialectique.

     

    Si l'enquête de Platon-Socrate sur la définition du beau aboutit à quelque chose, c'est à quoi aboutit toujours la démarche platonicienne: l'existence de deux ordres de réalité, la nécessité de poser au-delà du monde sensible, l'existence de son fondement intelligible, le monde des Idées. Comme on le sait, les choses sont belles par leur participation à l'Idée du beau, une Idée unique et permanente, à laquelle on parvient au terme de l'ascencion dialectique que décrit le Banquet.

     

    Tout ceci est bien connu, mais il faut tout de même ajouter ce qui ressort encore plus particulièrement du Phèdre: il y a une sorte de privilège pédagogique du beau qui est aussi un privilège ontologique. L'Idée du beau en effet se manifeste au sens par des simulacres clairs:

     

    Cf Phèdre, 250d 251c.

    Dès qu'on est engagé dans l'amour des belles choses, on est conduit pense Platon à chercher leur unité, et nécessairement -c'est la merveille de la définition qui joue ici à plein- à chercher au-delà des sens l'essence qui fait qu'elles sont belles. Dire que les choses sont belles c'est donc littéralement éprouver en soi un mouvement de l'âme au- delà du corps, vers ce qui est sa vraie patrie. L'amour des belles choses, c'est l'amour de ce mouvement, et les choses ne sont belles que dans la mesure où elles le mettent en branle. A terme, et c'est la merveille de la beauté, le sensible est devenu comme transparent: transparent au monde des Idées.

     

    1.3.2. La vraie théorie du beau chez Platon, on la trouvera donc dans la métaphysique platonicienne. Dès que Platon parle des Idées, aussitôt il est question de beauté: la beauté est une des caractéristiques essentielles du monde des Idées. Il y a, comme l'écrit Marc Sherringham, "une beauté essentielle des objets de la métaphysique classique, précisément parce qu'ils sont métaphysiques"(p.45). Pas de théorie séparée du beau, mais beauté de la théorie et des objets théoriques, dit-il encore (p.46).

     

    Tout cela, répétons-le est assez bien connu. L'interprétation, la compréhension qu'on en a est plus délicate, plus embarrassée. Il me semble qu'il est nécessaire pour bien en comprendre le sens de le rattacher à la conception grecque ( et classique) de l'être et de la vérité.

     

    Il faut notamment se garder d'une interprétation intellectualiste de la notion de monde intelligible. En effet, pour les Grecs et pour la pensée classique, la connaissance est seconde par rapport à la réalité ou à l'être. Il y a un primat de l'être sur le connaître. Ainsi, si connaître quelque chose, c'est s'élever jusqu'à sa définition, alors non seulement l'objet de la définition est "réel", mais il est plus "réel" que la chose particulière: il est, plus pleinement. L'Idée, l'essence, la forme sont. "L'existence nécessaire du monde idéel est la conséquence logique du primat de l'être sur le connaître", résume excellemment Marc Sherringham (p.48). Tout ce passage mérite d'être lu, le résumé est très pertinent:

     

    "Si la connaissance porte sur la définition, ...il s'ensuit que la définition exprime l'être par excellence, c'est-à-dire que la définition existe comme essence intelligible."(47/48)

    C'est bien sûr capital pour comprendre la nature de ce que Platon appelle "essence", "forme", ou Idée. L'Idée est ce qui, par sa présence, fait qu'une chose est ce qu'elle est. Les mots "présence" et "est" doivent ici être entendu au sens fort, plein. L'Idée, c'est ce par quoi il y a de l'être dans ce qui est, ce par quoi ce qui est advient, se présente.

     

    L'histoire des trois lits du livre X de la République qui conduit Platon à mettre l'artiste au dernier rang des copistes (copie de copie, copie au 3ème degré, apparence d'apparence on ne peu guère plus éloignée du vrai, de l'Idée, voilà son oeuvre), serait à peine compréhensible si on ne rappelle pas cela.

     

    République, X, 597 bc, p.1207

    Ce qui est remarquable dans ce passage, c'est la dénomination platonicienne de l'Idée de lit: le lit "naturel" (phusei). "Formule bien étrange", commente J. Lacoste (La philosophie de l'art, p.8), "puisque la nature ignore les lits. Mais il est clair ici que la phusis, la nature en question, désigne la façon qu'a l'Idée de se manifester par elle-même, d'éclore, d'être présente".

     

    Cette lecture est également nécessaire pour comprendre le sens de la fameuse comparaison du peintre à un homme muni de miroir qu'on trouve un peu plus au début de ce livre X de la République:

     

    République, X, 596 ce, p.1206

     

    Quelle opération accomplit ici le miroir? "Il produit tout sans exception". Il "produit" au sens grec (poein), c'est-à-dire qu'il rend présent une chose puis une autre. Mais il ne rend présent que l'apparence des choses, et l'Idée, l'être pleinement lui échappe. Voilà ce qu'il faut reprocher au peintre de "produire": un moindre être, une moindre présence.

     

    Dernier élément nécessaire pour apprécier l'équivalence métaphysique de la beauté et de l'intelligible, l'Idée de bien. On a vu Socrate dans l'Hippias majeur tout près d'assimiler le Bien et le Beau, avant de maintenir leur distinction. Reste de toute évidence une proximité, une connivence. Qu'est-ce que Platon appelle l'Idée de bien? Un principe d'unité supérieure des Idées, l'unité de la pluralité des Idées, l'Idée de toutes les Idées, ce qui est commun à toutes les Idées, l'être des Idées. (Chez ARISTOTE, ce sera le premier moteur immobile, chez PLOTIN, l'Un).

     

    Quel est donc ce commun, cette essence des Idées? Platon propose une image pour la saisir: le Soleil, dit-il, est l'image du Bien:

     

    République, VI, 508 c et 508e-509a, pp;1096/97

    Le Bien est donc ce qui rend les Idées visibles à l'intelligence. Et la beauté s'identifie à la lumière de l'être. La beauté désigne ce jaillissement d'où émanent tout le visible et tout le connaissable, elle est la lumière, l'éclat resplendissant, la pure présence, le don originel de l'être à sa source jaillissante.

     

    L'Idée seule est pleinement belle parce que l'Idée est ce surgissement de la lumière de l'être dans l'apparaître de tout ce qui existe. Elle est "la visibilité essentielle de l'être, qui conditionne toutes les possibilité de vision sensible ou théorique." (M. Sherringham, p.50.). Voilà pourquoi les Idées sont immédiatement belles: parce que leur beauté essentielle, "qui est leur caractéristique commune, renvoie à ce don originel de l'être comme visibilité des essences constituant le monde" (Idem).

     

    CONCLUONS EN RESUMANT CE QUE LA PENSEE CLASSIQUE RETIENDRA ICI DU PLATONISME: LE BEAU DESIGNE LA PLENITUDE DE L'ETRE. "ETRE BEAU, C'EST ETRE, ET ETRE, C'EST ETRE BEAU" (E. GILSON, Peinture et Réalité, Paris, Vrin, 1972, p.226).

     

     

     

     

     

    4. L'infériorité de l'art

    4.1 Art et philosophie

     

    La traditionnelle méfiance des philosophes envers l'art et les artistes est devenue un lieu commun de la philosophie de l'art. On la présente souvent comme le trait majeur de l'héritage platonicien, en oubliant au passage toute l'ambivalence de la pensée de Platon. Avant d'y venir, examinons de façon plus générale cette question des relations de la philosophie avec l'art, et plus particulièrement de la défiance, de la méfiance philosophique. Sur quoi se fondent-elles? Quelles "bonnes raisons" le philosophe peut-il bien avoir (encore) d'entretenir le soupçon? Plusieurs pistes, plusieurs réponses méritent d'être explorées:

     

    a) L'art serait par définition comme une anti-philosophie: pour la pensée philosophique en quête de vérité, c'est la définition, l'essence, qui importent, quand l'art s'attache aux apparences; c'est l'universel, et l'art n'a affaire qu'à la singularité (Cf. HIPPIAS). Le conflit recoupe aussi l'opposition de la raison et de l'émotion, de la médiation et de l'immédiat, du sensible et de l'intelligible...

     

    b) Plus grave peut-être, l'art est une fausse philosophie, une pseudo-philosophie: l'apparence veut s'y faire passer pour l'essence, le faux pour le vrai, le mensonge pour la vérité. C'est le règne du leurre, de l'illusion mensongère. Le trompe-l'oeil est un trompe-esprit. L'art est une entreprise sophistique de manipulation des apparences.

     

    c) Pseudo-philosophie, fausse philospophie, ajoutons un cran supplémentaire dans la gravité de l'accusation: l'art est en fin de compte une puissance antiphilosophique. Ses prestiges et ses séductions sont au service d'une entreprise de détournement, de captation. Jean Lacoste remarque que le mot grec pour désigner les couleurs du peintre (pharmakon) évoque également le filtre du sorcier. Le modèle classique entretient une suspicion de type ontologique et moral à l'égard de l'art, qui doit être placé sous haute surveillance. Non seulement erroné, mais de plus trompeur: l'art représente comme vrai ce qui est non-vrai en utilisant toutes les séductions du sensible.

     

    Par l'art, l'illusion, qui est pourtant un moindre être, exerce une fascination que la philosophie doit dissiper inlassablement pour dégager la voie de l'être. Il en va de sa nature même, et de la possibilité d'exercer son rôle.

    L'art est ainsi pour la philosophie comme un contraire dans lequel elle peut lire son essence inversée. Du coup, la condamnation philosophique de l'art repose paradoxalement sur une conscience très vive de la puissance de l'esthétique. Cette conscience-là est particulièrement forte chez Platon, dont la fascination pour l'art peut se lire dans l'excès même de la condamnation. Il y a en fait dans le face à face de l'art et de la philosophie la conscience d'une fascinante proximité. Faut-il alors s'étonner si art et philosophie, s'opposant comme s'opposent les extrêmes, en viennent à se toucher? A côté d'une ancestrale opposition de l'art et de la philosophie, il est donc nécessaire de faire état d'une essentielle complicité, proximité, dont se nourrit l'opposition même.

     

    A la méfiance philosophique à l'égard de l'art, il faut impérativement mettre en balance le désir philosophique du beau. Le désir du beau est un désir proprement philosophique, c'est ce que veut montrer la célèbre dialectique du Banquet. Sherringham résume cela dans une formule qui fait mouche: "le désir du beau, l'ébranlement que crée le spectacle de la beauté constituent l'énergie philosophique par excellence, la force qui seule peut amener l'âme à se convertir, c'est-à-dire à se détourner du sensible pour comtempler l'intelligible" (p.67). Le Banquet fait en effet du désir (mais il faut bien entendre le mot au sens grec: l'élan du coeur et de l'intelligence) l'impulsion qui permet à l'homme d'atteindre au divin, en parcourant les degrés de l'initiation amoureuse: 1 désir naturel pour un seul corps, 2 amour de tous les beaux corps (reconnaissance de l'identité de la beauté qui réside dans tous les corps) 3 compréhension de la beauté supérieure des âmes 4) puis de celles des actions 5) reconnaissance de la vie contemplative au dessus de la vie active 6) enfin élévation à la contemplation de la beauté unique et suprême de l'Idée de Bien. Le désir métaphysique et le désir du beau se rejoignent, parce que seuls l'Absolu et le monde intelligible peuvent combler la nostalgie de la beauté au coeur de l'homme: le désir de la beauté n'est rien d'autre que la nostalgie philosophique de la perfection de l'être (Phèdre). La beauté peut donc servir à éduquer et sauver l'âme, puisqu'elle détourne de la sensibilité et du corps.

     

    Certes, cette conception de la beauté s'oppose dans le platonisme à l'entreprise des Beaux-Arts; elle lui semble même aux antipodes. Platon définit l'art non par la Beauté, mais par la mimêsis qui lui tourne inéluctablement le dos puisqu'elle n'a d'yeux que pour les apparences sensibles éloignées des vraies réalités. L'art d'imitation est plutôt un obstacle à la recherche de la Beauté, puisqu'il se complaît au séjour dans le monde sensible. Platon recourt à la beauté "contre" l'esthétique et les beaux-arts.

    Mais viendront un temps et une conception de l'art non mimétique qui trouveront dans ce que Platon appelle Beauté le principe et l'objet de la création artistique. Cela commencera avec les néoplatoniciens.

     

    Seul un philosophe aussi "artiste" que Platon pouvait sentir si vivement l'ambivalence philosophique de l'art. Pour bien prendre la mesure de "cette antique rivalité entre la philosophie et la poésie", comme Platon l'écrit lui-même (République, X, 607b, Oeuvres I p.1221/1222), il fallait un philosophe qui sache ce qu'est le délire poétique. On le voit bien avec ARISTOTE. Lui n'est certes pas un artiste! C'est un savant, et de ces savants qui font de la classification l'activité principale de l'intelligence. ARISTOTE ne se propose rien d'autre que de ranger l'art parmi les autres activités humaines. Pas ici de lutte fratricide dont la vérité serait l'enjeu, comme chez PLATON. La classification aristotélicienne est bien connue et présentée en plusieurs endroits (Cf. notamment La Métaphysique, E, 1, 1025b18):

    1) En haut, les activités qui regroupent les sciences théorétiques, celles qui ont pour objet la contemplation des êtres nécessaires et éternels (mathématique, physique, théologie). Les sciences théorétiques recherchent la connaissance pour elle-même (Cf. ROSS, p.87).

    2) Ensuite, celles qui concernent les choses dont l'existence est contingente et changeante: les sciences pratiques (la morale et la politique, domaines des actions de l'individu et du citoyen). Les science pratiques visent à la connaissance pour qu'elle serve de guide à la conduite.

    3) Enfin, le domaine inférieur de la production et de la fabrication des objets, domaine bien entendu lui aussi contingent des arts et techniques: les sciences poïétiques. Les sciences poïétiques cherchent à atteindre la connaissance pour l'utiliser à fabriquer des choses utiles ou belles.

     

    Dans ce cadre, l'art est défini aisément comme "une certaine disposition, accompagnée de règles vraies, capable de produire"(Ethique à Nicomaque, VI, 4, 1140a5). C'est un savoir-faire raisonné. Mais il est aussi placé irrémédiablement au bas de l'échelle de l'excellence humaine quand il s'agit de dire quelle est la meilleure vie possible pour l'homme. La vie productive, et donc l'art, est par définition et classification, l'échelon le plus bas. Il n'y a pas même à en débattre, et ce n'est pas ARISTOTE qu'on verra s'interroger sur une dangereuse rivalité; la cause est entendue, le seul débat possible est de savoir si la vie politique est supérieure ou inférieure à la vie philosophique.

     

    Quoique plus "neutre", "objective" en apparence (pas de condamnation, pas de dénonciation directe ni même indirecte), la version aristotélicienne de la dévalorisation de l'art s'avère bien plus redoutable et durable que l'hostilité déclarée de PLATON. A l'intérieur même du domaine "poïétique", elle conduit à raffiner et ranger architecture, peinture, sculpture parmi les "arts mécaniques", arts servils par rapports aux arts dits "libéraux". Rappeler qu'au 14è siècle les peintres de Florence appartiennent encore à la Guilde des Médecins et Apothicaires, et qu'en 1378 c'est un privilège qui leur accorde de former une branche autonome au sein de cett Guilde. Qu'en pleine renaissance, Léonard de Vinci doit faire valoir la proximité de la peinture avec la mathématique pour tenter d'obtenir (sans succès) l'accès de son art au statut d'art libéral. Qu'encore au 17è siècle le nom de celui qui pratique les arts est artisan. Montaigne compte les peintres et les poètes parmi les artisans (même si le poète est du côté des arts libéraux, quand le peintre se tient du côté des arts mécaniques). La distinction entre artiste et artisan commence à se faire nettement au 18è siècle, seulement, avec le déclin du modèle de l'esthétique classique.

     

    < Pour ARISTOTE ,l'art est en définitive rien de plus qu'une espèce de connaissance, la "connaissance des règles vraies" qui permettent de produire des objets beaux ou utiles. Pour PLATON, c'est une sorte de délire et de possession.

     

    Cf. Phèdre, 245a, Oeuvres II, p.33.

     

    < Par ailleurs, le principe de classification et de hiérarchisation des existences humaines que propose le Phèdre

    met sur le même plan le savoir, la beauté, l'amour:

     

    Cf. Phèdre, 248c-e, pp.37/38

     

     

    1.4.2 La mimêsis

    Il faut maintenant en venir à ce qui est le coeur de la condamnation platonicienne. Le texte précédent du Phèdre en portait la trace: "à la sixième place répondra le poète, et quiconque encore use d'imitation". On le sait, c'est l'art défini comme mimêsis que condamne Platon; c'est le refus de la mimêsis qui conduit les interlocuteurs de la République à exclure les poètes de la cité juste. C'est par son recours à la mimêsis que le poète et l'artiste sont dans la compagnie du sophiste; le sophiste occupe la huitième place, il colle de bien près au poète. Le voisinage de l'art et de la sophistique est une constante du platonisme. Parce que la conception de l'art comme mimêsis se rattache fortement à la conception grecque de l'être et de la vérité.

    Pour rendre justice à cette thèse classique fondamentale qui définit l'art comme mimêsis, imitation, il est nécessaire de l'inscrire dans le réseau conceptuel du paradigme classique, et plus particulièrement de la relier à la conception de l'art comme connaissance. Dans l'Encyclopédie encore, sous la plume de D'Alembert, l'art est défini comme une connaissnce par imitation:

     

    Lire-commenter Discours préliminaire, pp.103/104

    Peut-être faut-il tout simplement s'être adonné queque peu à la discipline du dessin sur modèle pour mieux concevoir celà, avoir longuement traqué dans le regard et sur le papier le modèle qui fait face et qu'on veut saisir et rendre...VASARI, à la Renaissance, définissait le dessin conne un jugement universel produit à partir d'une multiplicité de choses (cf. Panofsky, Idea, p.80), et insistait sur ce que par le dessin on peur connaître le tout par la partie ("le lion par la griffe").

     

    Qu'est-ce que condamne alors Platon? Il faut sans doute se garder de trop vite assimiler la mimêsis, l'imitation, avec la conception naturaliste et réaliste de l'art. Il n'empêche que ce que PLATON condamne, c'est bien la pratique artistique telle qu'elle se pense et se définit elle-même dans son ambition, non seulement dans toute l'antiquité classique, mais jusqu'au XVIIIème siècle. L'art a pour mission d'être une imitation directe de la réalité: c'est ce que répète toute la Renaissance, montre Panofsky (Idea, p.63). De plus, et d'emblée, le geste de Platon rompait violemment la relation que l'art entretenait avec l'esprit grec. Une des plus célèbres anecdotes de l'Antiquité, répétée inlassablement depuis, permet de s'en faire une idée. On raconte et on répète à satiété, surtout pendant la Renaissance, l'histoire suivante: ZEUXIS, ayant à représenter HELENE, avait fait appel aux cinq vierges les plus belles de la ville de CROTONE, afin de reporter en son tableau le plus bel aspect de chacune. On voit ici que l'esprit grec juxtaposait ("en pleine naïveté", croit Panofsky, Idea, p.30) une conception qui faisait de l'artiste un humble copiste de la nature, mais aussi une conception qui en fait son émule dans l'ordre de la création du beau. Bref, la mimêsis n'était pas conçue comme une pure passivité, ce moindre être selon Platon. La définition de l'art comme mimêsis que retiendra le classicisme et qui prévaudra "malgré" Platon, c'est celle que donne Aristote au début de sa Poétique: le principe unique nécessaire et suffisant auquel se ramène tous les arts, réside dans l'imitation.

     

    Ce qui caractérise la pensée platonicienne de la mimêsis, c'est bien entendu sa portée négative. Il s'agit bien d'une catégorie ontologiquement négative, et forgée comme telle par Platon. La déconstruction platonicienne de lart qui inaugure l'esthétique philosophique s'effectue au nom même du principe qui en constitue l'essence. C'est donc une attaque frontale. Comme le dit Sherringham, Platon voit dans l'imitation "un processus ontologique à rebours.

     

    On connaît les grandes lignes du procès qu'instaurent les interlocuteurs de la République II, III, et X, particulièrement. Il s'agit de bâtir la Cité idéale, la Cité saine. Platon s'en prend particulièrement à la poésie, et dans le prolongement aux autres arts de l'imitation telle la peinture. Une condamnation sans appel entraîne l'exclusio= n des poètes et des autres artistes de la Cité idéale. Le seul art qui y sera autorisé en vue de la justice sera la philosophie elle-même. La philosophie est appelée à se substituer à la poésie et aux arts pour accomplir une mission dont ils se sont rendus indignes par leur insuffisance de principe.

     

    Quels sont maintenant les arguments du procès? Le texte capital de la République se trouve au livre X. Cinq arguments sont avancés (cf Sherringham, p.71 sq.):

    a) L'objet que produit l'imitation ne peut être qu'un moindre être. Produit d'une imitation l'objet d'art n'a pas plus de valeur que n'en possède une ombre, un reflet. Le presque rien fait signe vers le non être.

    b) L'imitation que produit l'artiste se trompe de modèle. L'artiste ne regarde que les choses sensibles, il méconnaît la beauté authentique, celle de l'idée, de l'intelligible. Il manque le vrai marce qu'il manque l'être, comme il manque l'être.

    c) Pire encore, l'imitation ne porte même pas sur les choses sensibles elles-mêmes, mais sur leurs apparences. L'ombre d'une ombre.

    d) De plus l'artiste trompe son monde. On peut très bien imiter ce qu'on ne connaît pas si on possède la technique, les principes de l'imitation. L'artiste est un sophiste qui dissimule son ignorance derrière une représentation de l'apparence.

    e) L'art s'adresse à la part la moins noble et la plus infirme de l'âme humaine, la plus aisément trompée, la sensibilité. Sa vertu éducative est donc négative.

     

    Tous ces arguments ont une portée directement ou indirectement ontologique. Rappelons ici rapidement la portée ontologique de l'argument qui les contient tous, le premier: la mimêsis est une production subordonnée qui se définit par la distance, par l'éloignement par rapport à l'être, à l'idée, à la forme première. Moins qu'une apparence, l'apparence de l'apparence (puisque le peintre ne rend qu'un aspect de la chose, un profil), une copie au troisième degré. Mais ce qui est décisif ici, c'est moins une sorte d'entropie négative de l'information (une dégradation progressive, comme celle de la nième photocopie par rapport à la page ou au dessin original), c'est la perte de l'être, de la présence, de l'éclat propre à l'être, de l'évidence propre à l'être lui-même, au fait d'être et qu'il y ait de l'être.

     

    Viendra un temps où ces arguments pourront se retourner au profit d'une autre conception de l'art. On connaît la célèbre formule de Paul KLEE: l'art ne reproduit pas le visible, il rend visible. Elle a comme un aprfum platonicien en ce sens qu'elle situe l'art sur un plan qui échappe à sa condamnation ontologique. Cette autre conception trouvera d'ailleurs ses appuis dans la mouvance platonicienne et neéoplatonicienne, comme en atteste ce texte de PLOTIN que cite Panofsky (Idea, p.39) et ou on peut lire presque mot à mot une préfiguration de la formule de KLEE:

    Il faut donc une nouvelle fois le répéter: la condamnation platonicienne est tributaire de sa conception, et plus largement de la conception grecque de l'être et de la vérité. Dès lors, on peut pressentir que ce que Platon condamne, lui qui sait de quoi il parle et connaît l'art de son temps "de première source", c'est un art qu'il reçoit comme porteur d'une conception qu'il refuse. Ce que Platon condamne, c'est bien l'art moderne de son temps, avant-coureur d'une vision du monde qu'il récuse de toutes ses forces philosophiques.

     

    Nous connaissons les goûts archaïsants de Platon: ils le tournent plutôt du côté de l'art égyptien, comme le confie Platon par exemple dans Les Lois, (II, 656d-657a, Oeuvres II p.678). Un art immuable, hiératique, schématique, "conceptuel", dont les canons demeurent comme éternellement fixes, et donne à voir plus ce que l'on sait que ce que l'on perçoit seulement. Comparer le dessin égyptien au dessin enfantin, à ce que LUQUET appelait son "réalisme intellectuel". L'art de la peinture et de la sculpture au temps de Platon sont en pleine évolution vers une sorte de réalisme visuel qui fait de l'oeil humain la mesure de l'imitation.

    On trouve dans le Platon et l'art de son temps de P.-M. SCHUHL (Alcan, 1933) une étude des principales caractéristiques nouvelles de l'art qu'a pu connaître Platon:

     

     

    Sur la statuaire grecque:

     

    République, IV, 420 cd

     

    Sur les Anciens et les modernes au temps de Platon:

    "Nous savons par Galien que Polyclète avait écrit un traité, le Canon, où il enseignait les proportions du corps humain et définissait la beauté par la juste proportion de toutes les parties entre elles; le bien, disait-il encore, résulte de beaucoup de nombres et dépend d'un rien: autrement dit, la perfection de l'oeuvre dépend de tant de rapports que la moindre négligence suffit à compromettre l'ensemble. Son système de mesures se retrouve dans ses statues, le Doryphore surtout, qui fut lui-même appelé le Canon, et servit de modèle aux sculpteurs.

    Mais bientôt les artistes ne se contentèrent plus de reproduire des formules devenues classiques: on était las de ces proportions un peu lourdes et trop "carrées". Euphranor, qui écrivit à son tour un traité "de symmetria", définit alors un canon plus élancé, auquel on reprochait la sveltesse exagérée du corps et le volume trop important des membres et de la tête. D'autre part, PLine, à qui nous devons ces renseignements, nous apprend qu'Euphranor sculpta des colosses. Enfin Lysippe, dont Platon put connaître les premières oeuvres, sans aller aussi loin qu'Euphranor, modifia les proportions de Polyclète par l'application d'une formule nouvelle et plus élégante. Les Anciens, disait-il, (...) représentaient les hommes tels qu'ils étaient, et lui tels qu'ils paraissent être. (...)

     

    La peinture présente une évolution analogue, et s'éloigne de plus en plus de l'art archaïque de Polygnote, simple dessin colorié, dont on vantait par ailleurs l'exactitude expressive. Elle se transforme surtout sous l'influence des innovations réalisées au théatre: Vitruve, dans la préface au VIIe livre de son Architecture, nous dit que "le premier décor fut fait à Athènes du temps d'Eschyle par Agatharchos (...). Les procédés d'Agatharchos furent perfectionnés, à la fin du Ve siècle, par Apollodore le Skiagraphe, qui introduisit une révolution véritable dans l'art de la peinture: par skiagraphies, il ne faut pas entendre de simples silhouettes, analogues aux ombres projetées sur le mur de la caverne dans le mythe de la République, mais des décors ou des tableaux où le jeu des ombres et des couleurs reproduit les apparences et donne, de loin, l'illusion de la réalité: pour la première fois, on voyait reproduit sur une surface plane le monde extérieur, avec sa profondeur et sa coloration. Vivement attaqué par les partisans et les imitateurs de Polygnote, Apollodore fut suivi dans la voie du trompe-l'oeil par Zeuxis et Parrhasios: on connaît l'anecdote du rideau de Parrhasios et des raisins de Zeuxis (...): c'est encore d'un décor de théatre qu'il s'agit.(...)

     

    Platon paraît donc bien opposer - qu'il s'agisse de peinture ou de sculpture - les anciens aux modernes".

     

    (Pierre-Maxime SCHUHL, Platon et l'art de son temps, Paris, Alcan, 1933, pp. 7-13)

     

    ..."Une anecdote fantaisiste, mais caractéristique, rapportée par Tzetzes: les Athéniens avaient fait faire, pour les placer sur de hautes colonnes, deux statues d'Athéna, l'une par Phidias, l'autre par Alcamène. Phidias (...) fit le visage en conséquence, accusant les traits: quand on présenta les deux statues, il faillit être lapidé. Mais quand elles furent mises en place, l'art de Phidias apparut manifeste; et ce fut le tour d'Alcamène d'être moqué".

     

    (Ibid., p.30)

     

    "Platon écrit au moment même où le genre du portrait -au plein sens du mot- apparaît en Grèce pour la première fois".

     

     

    (Ibid, p. 52)

     

     

    Sur l'image et l'illusionnisme, le trompe-l'oeil

     

    République, X, 596 de, 602 cd

    "Platon s'oppose à un courant qui entraîne tous les arts du dessin vers la recherche de l'illusion; mais ce courant s'étend plus loin encore.

    Platon - qui, d'ailleurs, nous le verrons, ne demande pas aux arts plastiques une exactitude mathématique- n'a jamais cessé d'opposer, aux apparences trompeuses, le recours à la mesure (Protagoras, 356 ce; République, X, 602 d-603 a); et les artifices dont la mode se répandait devaient se situer pour lui sur le plan de ces empirismes qu'il aflétris dans le Gorgias (433 a-466 a): "flatteries" qui prennent le masque de l'art, comme le maquillage contrefait la beauté naturelle que peut seule donner la gymnastique, ert cherchent à enjôler les âmes par l'attrait du plaisir; le goût des peintres pour le thème de Circé n'est-il point symbolique?..Il y a parallélisme exact entre la technique du peintre qui parvient à donner -de loin- l'illusion de la réalité et celle du sophiste qui sait "aux jeunes qu'une longue distance sépare encore de la vérité des choses, verser par les oreilles des paroles ensorcelantes, présenter de toutes choses des fictions parlées et donner ainsi l'illusion que ce qu'ils entendent est vrai"(Sophiste, 234 c)."

    (Pierre-Maxime SCHUHL, Platon et l'art de son temps, Paris, Alcan, 1933 pp.32-33)

     

    "Platon est, d'une façon générale, hostile aux novateurs; mais son aversion pour les artistes de la nouvelle école se fonde aussi sur des raisons tirées du caractère même de leur art -sur celles surtout qu'il nous indique lorsqu'il rapproche, de l'attitude du peintre à produire des images trompeuses de toutes choses, la compétence universelle, l'omniscience, tout illusoires, en réalité, auxquelles prétend le sophiste (Sophiste 232 a, 232 c à 235 b; République, X, 596 ce, 598 bd; Hippias majeur, 285 c-286 a). Les historiens de l'art ont été frappés depuis longtemps déjà par cette affinité des peintres "modernes" avec les sophistes; ils leur ressemblaient même par l'attitude et la manière d'être: même infatuation de soi, même orgueil, même jactance: pour ne citer qu'un trait entre beaucoup d'autres, Zeuxis, comme Gorgias et Hippias, portait des vêtements de pourpre; mais ce n'était là que l'indice d'une analogie plus profonde. Leurs tableaux, dont la ressemblance, saisissante de loin, s'évanouit si l'on s'approche, semblent faits pour illustrer et confirmer le relativisme héraclitéen d'un Protagoras; de part et d'autre, tout se ramène à l'apparence: il ne s'agit que de faire illusion, et par des moyens moins différents qu'on ne pourrait croire".

     

    (Ibid, pp. 22-23)

     

    Dans la lumière de ce contexte, le sens de la condamnation platonicienne de l'art doit être en partie révisée. Platon ne condamnait peut-être pas les arts en tant que tels, mais l'illusionnisme naissant, les conquêtes du naturalisme, le trompe-l'oeil qu'impose l'art "révolutionnaire" de son époque. Pourquoi? On peut esquisser au moins trois réponses (en s'inspirant des propos de Jean LACOSTE, Philosophie de l'art, pp.11/12:

    a) Parce que Platon refuse le primat du point de vue humain qui s'impose avec les techniques du trompe-l'oeil (illusion de la profondeur, par le modelé ou la perspective linéaire); ce relativisme, cet humanisme sont en effet bien proches de ceux des sophistes. Quand cet art triomphera, à la Renaissance, c'est précisément en recourant à un relativisme inspiré du Protagoras qui faisait de l'homme la mesure de toute chose qu'ALBERTI justifiera la perspective.

    b) Parce que Platon refuse d'accepter la dialectique du vrai et du faux propres à ces nouvelles images: refus de ces objets "dont la "vérité" est indissociable du mensonge qui en est la condition", comme l'écrit très justement Lacoste (p.11).

    c) Parce que Platon ne peut accepter cette préfiguration de la réduction de l'être au visible si caractéristique de l'art moderne déjà en route dans les nouvelles techniques. Nous comprenons mieux, nous autres modernes, que cette technique naissante de la skiagraphie était une première façon d'interroger ce que Merleau-Ponty appellera la profondeur de l'Etre, la façon dont l'Etre se fait visible, rien que visible, sous nos yeux.

     

     

    1.4.3. La bonne et la mauvaise mimêsis

     

    On peut enfin noter avant de conclure que Platon distingue deux types d'imitation qui confirment cette interprétation. Leur distinction est importante pour la réflexion esthétique, parce qu'elles distinguent du même coup deux esthétiques dont héritera la postérité et qui vont jusqu'à nous. Le texte-clé se trouve dans Le Sophiste:

    Lire-commenter Sophiste, 235d-236c, Oeuvres II p.286/287

    Il faut donc bien distinguer:

    a) l'imitation qui produit une image fidèle de l'objet tel qu'il est en réalité, respectueux de ses mesures réelles. C'est ce que Platon appelle un art de la simulation, ou si l'on veut l'art de la copie. La copie ne cherche pas l'illusion optique, sa fidélité à l'objet lui interdit au contraire de le corriger selon la convenance de notre point de vue. Elle n'a pas besoin d'accumuler les détails comme pour rivaliser avec le modèle et se confondre avec lui dans la perception. Copie et modèle reste distinct, la ressemblance ne vise pas à l'illusion d'identité. Image simplifiée, elle est plus proche du signe (comme d'ailleurs aussi le dessin enfantin).

     

    b) L'imitation qui veut donner aux sens l'illusion de la présence perceptive de l'objet imité. C'est ce que Platon appelle l'art de l'apparence illusoire, ou l'art du simulacre. Sa fidélité aux règles de la perception (exactitude dans la représentation) est dénoncée comme infidélité au réel, au modèle. Prétendant donner l'apparence de la présence "en chair et en os", tendant à se faire passer pour ce qu'il n'est pas, le simulacre trompe doublement: il déforme le réel et se fait passer pour le modèle. Il est clair que Platon condamne ainsi l'art réaliste.

     

    Au deux genres de l'imitation correspond ainsi deux esthétiques qui correspondent à deux courants majeurs de l'histoire de l'art:

    a) Le premier est ce réalisme que Platon condamne, qui s'engagera toujours plus avant dans la fidélité à l'apparence sensible, à l'impression perceptive. Ce sera longtemps le moteur de l'histoire de l'art classique occidental. Contre le platonisme, et avec Aristote qui aura légitimé le principe de l'imitation, il conduit à affirmer l'être dans l'apparaître. Il conduit de l'invention de la perspective à l'impressionnisme, au fauvisme, il passe par COURBET, CEZANNE (voir par exemple Conversations avec Cézanne, p.36), MATISSE, et bien d'autres (Maurice DENIS: "toute oeuvre d'art est l'équivalent passionné d'une sensation reçue"). Là-dessus, sur la réhabilitation ontologique de l'image peinte, voir les analyses capitales de Merleau-Ponty dans L'Oeil et l'Esprit.

    b) Le second passe par l'abstraction, la peinture symbolique, et d'abord par l'art de l'icône. C'est une voie contamment marquée par les tentations de l'iconoclasme, de l'interdit de la figuration. Alain BESANCON (L'interdit de l'image, une histoire de l'iconoclasme en Occident) voit même dans l'abstraction une figure moderne de l'iconoclasme. Il n'est pas indifférent à cet égard que son principal promoteur et théoricien, KANDINSKY, touche au néoplatonisme par sa culture théosophique, et accorde la plus grande importance à la peinture d'icônes. Ces artistes visent d'abord à représenter l'essence des choses, par-delà leurs apparences perceptives. C'est bien en cela une voie platonicienne, qu'ouvre l'autre conception de l'imitation comme "simulation", signe visible de l'essentiel à quoi il renvoie sans prétendre le remplacer.

    (Rappeler ici le parallèle KLEE/PLOTIN esquissé plus haut; cf. Panofsky, Idea, p.39).

     

    Mais c'est bien en premier lieu l'art de l'icône qui met en oeuvre une conception de l'image la plus proche de la "bonne" imitation selon Platon. M. Serringham croit même pouvoir affirmer que "l'art platonicien de la copie est l'origine théorique de l'icône".(p.74) Qu'est-ce en effet qu'une icône? Dans l'icône, ou l'idole, on n'a plus affaire à une image-reflet, mais image-présence, théophanie, manifestation de Dieu en une image sacrée. Dans l'icône, "l'image" du Christ est le Christ. Dans l'image-icône, dans l'image-symbole, nous avons:

    présence "dialectique" du visible dans l'invisible;

    chose "mondaine" comme support de l'absolu;

    visée de l'absolu par-delà la visibilité du visible.

     

     

    1.5. Conclusion : le double héritage esthétique du platonisme

    a) Dans la perspective classique qu'ouvre PLATON, il faut absolument prendre soin de rappeler que la beauté essentielle ne dépend en aucune façon de l'art. Le Beau existe par soi, c'est une catégorie pleinement ontologique, la lumière de l'être. L'art se situe dès lors dans la dépendance du beau qu'il prétend représenter. Impuissant à la produire, il ne peut au mieux qu'imiter la beauté parfaite. La survalorisation ontologique du beau a pour conséquence une certaine dévalorisation de l'art (cf. Sherringham, p.59), que le modèle classique maintient durablement dans un statut de connaissance inférieure.

     

    b) Mais la métaphysique de la beauté chez Platon laisse "en creux" la place d'une conception ontologique de la création artistique. La dialectique du Banquet pourra ainsi être lue comme une description de la quête artistique elle-même, visant l'absolu par le moyen de l'oeuvre. Comme le remarque Lacoste (Philosophie de l'art, p.19) La recherche du temps perdu s'inscrit dans cette dialectique. Qu'on lise la scène de la mort de l'écrivain Bergotte. On est bien loin de la simple mimêsis quand l'artiste mourant découvre dans "le petit pan de mur jaune" d'un tableau de VERMEER la justification de sa propre quête, une image de l'absolu et de l'exigence éthique qui aimante son travail. "Et, conclut Lacoste, c'est son oeuvre qui assure à Bergotte, dès le jour de sa mort, une immortalité purement humaine". Cf PROUST, La recherche, Le temps retrouvé, III, p.187).

     

    "Enfin il fut devant le Ver Meer(...) enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. "C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleurs, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune". Cependant, la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. (...) Il se répétait: "Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune". Cependant, il s'abattit sur un canapé circulaire. (...). Il était mort."

     

     

    Séance n° 15

     

    Séminaire organisé autour d'un exposé de travail de maîtrise en cours :

     

     

    Sur le symbole comme "outil " pédagogique : l'accès à l'écrit des enfants du voyage.

     

    (Eric Torregrosa)

     

     

     

     

    Séance n° 16

     

    1. Séminaire organisé autour d'un exposé de travail de maîtrise en cours :

       

       

       

      Sur la pédagogie de la musique, l'œuvre de Willems

       

      (Christiane Massard)

       

       

       

       

    2. Cours :

     

     

    ASPECTS DU MODELE ROMANTIQUE

     

     

     

    De Platon au modèle romantique, de la Grèce antique à l'Allemagne de l'idéalisme, un grand saut, mais... Comme nous le verrons, des continuités significatives peuvent être dégagées. Voir le parallèle entre les écrits de KLEE et certains aspects de la pensée néo-platonicienne et plotinienne esquissé à la fin du cours sur le modèle classique.

     

    Qu'est-ce que le romantisme, au sens philosophique du terme? Un mouvement esthético-littéraire, à prétention théorique, qui apparaît en Allemagne à la fin du XVIII ème siècle, autour des frères SCHLEGEL et de NOVALIS. Et bien sûr HOLDERLIN. Mais ce mouvement littéraire est très proche de l'idéalisme allemand, des philosophies spéculatives : SHELLING, HEGEL, particulièrement. Il s'agit de philosophies à ambition totalisante, elles veulent rendre compte de la totalité du réel à partir d'un principe unique.

     

    L'interpénétration - souvent conflictuelle - de ce mouvement littéraire et de ces philosophies donne naissance à ce qu'on peut appeler le paradigme romantique : une façon de penser l'art, son sens, sa valeur, son rôle, sa mission largement dominant dans le monde moderne. La modernité esthétique depuis BAUDELAIRE jusqu'aux avant-gardes contemporaines en est tributaire. Ce paradigme succède au modèle classique, qui appartient pour nous à un autre monde. Son importance tient au règne quasi-exclusif, presque sans partage, qu'il a exercé et exerce encore sur la pensée et la production artistiques modernes.

     

    Point capital : "le romantisme est le fondement de l'esthétique au sens actuel de ce terme" (M. Sherringham). Ce n'est pas un modèle univoque. C'est même dès l'origine "un modèle éclaté" (Sherringham). Il englobe des auteurs qui s'opposent entre eux : SCHELLING fait de l'oeuvre d'art l'expression ultime de l'absolu, alors que HEGEL fait de cette mission l'oeuvre de la philosophie. Mais "derrière les oppositions et les contradictions réelles, se révèlent une unité et une identité structurelles indéniables. C'est cette forme unique qu'on peut appeler "romantisme" pour autant qu'elle naît au même moment que le mouvement littéraire et théorique qui porte traditionnellement ce nom" (Sherringham, p.224)

     

    Démarche du cours :

     

    1) Repérage des traits fondamentaux du paradigme romantique spéculatif.

     

    2) Un exemple contemporain : KANDINSKY, Du spirituel dans l'art.

     

    3) Quelques expressions philosophiques du paradigme romantique spéculatif : SCHELLING, SCHOPENHAUER (habituellement considérés comme des romantiques), mais aussi HEGEL, NIETSZCHE, qui ont voulu montrer les limites du modèle romantique qui dominait la culture leur époque, sans qu'il soit sûr qu'ils aient pu pleinement rompre avec ce qui en constitue le coeur. C'est l'avis de Sherringham : "condamner le romantisme des autres et en dénoncer les faiblesses ne signifie pas nécessairement que l'on soit capable de rompre avec ce qui en constitue la structure intime et le fondement non apparent". Sherringham étend même ce jugement à HEIDEGGER.

     

     

     

    I. LE PARADIGME ROMANTIQUE/SPECULATIF : TRAITS FONDAMENTAUX

     

     

    1) L'oeuvre d'art est le lieu du sens, de la manifestation et de l'accomplissement du sens. Toute oeuvre "fait signe vers", montre au-delà de ce qu'elle dit et donne à voir. L'oeuvre d'art doit être interprétée : elle relève de l'herméneutique. Les esthétiques modernes sont des herméneutiques, de HEGEL (l'esprit d'un peuple, les idées les plus hautes auxquelles une civilisation peut accéder) à la psychanalyse, en passant par SCHOPENHAUER et NIETZSCHE.

     

     

    2) L'art est expression de l'absolu et révélation de la vérité. Le propre du romantisme est bien d'élever l'art à l'absolu, de lui confier la mission la plus haute, de le mettre en relation avec la question fondamentale de la philosophie, celle de l'être et de la vérité. L'art et ses oeuvres ont une portée, une mission métaphysique, ontologique, celle-là même que la philosophie critique avait interdite. Le romantisme est une tentative de confier à l'art ce que le criticisme interdisait : la connaissance de l'ultime.

     

    Qu'avait en effet établi la Critique de la raison pure (1781) ? Que les choses nous sont nécessairement données dans les formes de l'espace et du temps. Que la connaissance n'est possible que par l'union de l'intuition sensible et du concept. La connaissance scientifique est donc fondée dans sa nécessité et son universalité, mais elle ne porte que sur les phénomènes : il n'y a de science que du donné sensible, que des phénomènes. Ce qui est "derrière" le phénomène, le support non phénoménal du phénomène, la chose en soi, ne peut être connu. Marc Sherringham : "La certitude de la science est donc totale dans le domaine du phénomène, mais elle n'atteint pas la chose en soi, c'est-à-dire l'essence ou la réalité fondamentale du monde ( p. 250), la réalité ultime.

     

     

    D'une façon générale, le romantisme prétend confier à l'art la mission de saisir l'essence du monde que la science est incapable d'exprimer. Il prend la relève de la métaphysique après KANT.

    "Est romantique toute position considérant que l'art permet de connaître l'essence du monde, tandis que la science ne peut en saisir que le phénomène où l'apparence" (Sherringham, p.251). Expl SCHOPENHAUER : "Nous pouvons par conséquent définir l'art : la contemplation des choses, indépendante du principe de raison" (Le Monde comme volonté et comme représentation, livre III, par. 36).

    3) Tout romantisme procède à la sacralisation de l'art. D'une façon où d'une autre, l'art vient prendre la place de la religion : "Il s'agit d'en faire la nouvelle religion ou la nouvelle mythologie qu'attend l'époque moderne après l'éloignement des dieux grecs et l'affaiblissement du Dieu chrétien" (Scherringham, p.242). Lorsqu'il n'est pas sacralisé, l'art est au moins sécularisé. On lui attribue des tâches temporelles, mais décisives : éducatives (SCHILLER), sociales et politiques (HEIDEGGER, NIETZSCHE). Sacralisation et sécularisation peuvent d'ailleurs aller de pair au sein d'une même esthétique (cf M. Jimenez, Qu'est-ce que l'esthétique ? pp. 167/168).

     

     

    "L'art, nous dit-on, est une connaissance extatique, la révélation des vérités ultimes, inacessibles aux activités cognitives profanes; ou : il est une expérience transcendantale qui fonde l'être-au-monde de l'homme; ou encore : il est la présentation de l'irreprésentable, de l'évènement de l'être; - et ainsi de suite. La thèse, sous toutes ses formes ou formulations, des plus profondes aux plus triviales, implique une sacralisation de l'art, opposé, en tant que savoir d'ordre ontologique, aux autres activités humaines considérées comme aliénées, déficientes ou inauthentiques" Jean-Marie Schaeffer, L'art de l'âge moderne, Gallimard, 1992.

     

     

    NB. D'une certaine façon, on peut dire que ces thèses ont des allures platoniciennes. Mais il y a une différence fondamentale que signale bien Schaeffer : elle ne sont pas situer dans le même monde ! Cf. Schaeffer, p.20. Pour bien s'en imprégner, on relira le texte de P. qui oppose le monde grec et le monde moderne.

    On comprend dès lors que la sacralisation de l'art a une fonction de compensation.

     

    Le romantisme recouvre en effet une double crise spirituelle. Celle des fondements religieux de la réalité humaine, et celle des fondements transcendants de la philosophie (Schaeffer). Le romantisme correspond à l'expérience d'un monde désenchanté, le monde de la science, le monde débarrassé de ses dieux. Mais c'est aussi un monde éclaté, et un monde qui a perdu sa légitimation (comme oeuvre divine). D'où ce que Schaeffer appelle le syndrome romantique. Il est double :

     

    - "expérience d'une désorientation liée à la différenciation de plus en plus poussée des diverses sphères de la vie sociale";

     

    - "nostalgie irrépressible d'une (ré)intégration harmonieuse et organique de tous les aspects de cette réalité vécue comme discordante et dispersée" (p. 20), de l'unité perdue.

     

     

    L'aspect philosophique de cette crise est dans le prolongement de la philosophie des Lumières et du criticisme. Kant a démantelé la métaphysique, ruiné ses prétentions. Les romantiques sont contraints d'en prendre acte : impossible pour la philosophie d'accéder à l'absolu.

    "Mais (les romantiques) proposent une solution de rechange, qui n'est autre que la théorie spéculative de l'Art : la poésie - et plus généralement l'Art - remplacera le discours philosophique défaillant" (Schaeffer, p. 19).

     

    On notera au passage avec Schaeffer que "la révolution romantique a été fondamentalement conservatrice puisqu'elle a consisté pour l'essentiel dans la tentative d'inverser le mouvement des Lumières vers une laïcisation de la pensée philosophique et culturelle" (Idem).

    Sur le plan philosophique, le romantisme était une tentative de contourner la philosophie de la finitude radicale qu'est le criticisme (Cf. Schaeffer, p.20/24).

    Deux autres thèses complémentaires doivent être signalées.

    4) Le romantisme affirme qu'il y a une essence de l'Art : pas seulement des objets d'art, des oeuvres singulières, mais bien une essence interne. Toute oeuvre authentique participe de sa quête, de son déploiement. Toute oeuvre manifeste l'essence de l'Art. Toute oeuvre d'art pose la question de l'essence de l'art. Au point que dans les arts plastiques la quête essentialiste a fini par absorber toute la finalité de l'art. Toute oeuvre y est conçue et perçue comme une tentative de répondre à la question : qu'est-ce que l'art ? DUCHAMP et l'art conceptuel sont bien à cet égard dans le paradigme romantique. Comme KANDINSKY.

     

    5) La quête essentialiste enfin conduit à une conception historiciste de l'évolution de l'art. L'histoire de l'art serait celle du progrès accomplit vers une expression de plus en plus pure de l'essence de l'art. HEGEL, bien sûr. Mais aussi toute la conception dominante de l'histoire de l'art moderne. Elle trouve sa formulation la plus achevée et la plus répandue chez Clément GREENBERG (Cf. Art et culture, éd. Macula, p.12/13). Schaeffer voit dans "le cul-de-sac minimaliste auquel ont abouti certains secteurs des arts plastiques" sa conséquence.

     

    6) On terminera par une vue d'ensemble du modèle romantique, en le comparant au modèle classique.

     

    Cf. Marc Sherringham, Introduction à la philosophie esthétique, PB Payot, p. 36 : LES TROIS PARADIGMES DE LA PHILOSOPHIE ESTHETIQUE. A commenter.

     

     

     

    II. ROMANTISME ET AVANT-GARDE : KANDINSKY

    Commencer par dire que Kandinsky n'est proposé ici que comme exemple significatif, mais que d'autres artistes auraient pu tout aussi bien être convoqués : l'oeuvre de Paul KLEE et sa Théorie de l'art moderne, par exemple (Que signifie une formule comme celle-ci : l'art ne reproduit pas le visible, il rend visible ?); MALEVITCH et le suprématisme (Cf. La lumière et la couleur, in Dossier Plotin, Presses Pocket, pp. 217/218); André BRETON et le surréalisme, etc.

     

    Lecture : KANDINSKY, Du spirituel dans l'art (1913)

     

     

     

    III. DE SCHOPENHAUER A NIETZSCHE ET HEIDEGGER

     

    Pour poursuivre l'analyse du modèle romantique et ses formes contemporaines, voir Marc Sherringham, dans son Introduction à la philosophie esthétique.

     

    Séance n° 17

     

    Séminaire organisé autour de deux exposés de travaux de maîtrise en cours :

     

     

    1. EDUCATION ET POESIE

      (PierreLaborde)

       

       

       

    2. DESSIN ENFANTIN ET ART MODERNE

    (Caroline Mollon)

     

     

     

    Séance n° 18

    Cours :

     

    MODELES ESTHETIQUES ET MODELES EDUCATIFS

     

    CLASSICISME, ROMANTISME, CRITICISME

     

     

     

    Séance n° 19

    Séminaire organisé autour de deux exposés de travaux de maîtrise en cours :

     

    1. ECOLE ET MUSEE

      (Agnès MIGEOT)

       

       

       

       

    2. ECOLE MATERNELLE ET PEDAGOGIE DE L'IMAGINAIRE

     

    (Aurore)

     

     

     

    Séance n° 20

     

    ART, SOCIÉTÉ, POLITIQUE

     

     

     

    INTRODUCTION

    Nous l'avions noté dès la première séance : notre société se tourne régulièrement vers l'art pour faire face aux problèmes qui la secouent. Rappelons quelques exemples :

     

     

    Il ne s'agit pas (du moins pas seulement) de chercher la diversion ou le divertissement. Pour comprendre la nature de ces recours, il faut commencer par comprendre que l'art a des liens premiers et fondamentaux avec la société. L'art n'est pas un loisir qui viendrait après que l'essentiel ait été satisfait ; il n'est pas ce "colifichet" de l'existence auquel certains voudraient le réduire, "tel un petit ornement chargé d'apporter un peu de fantaisie dans une vie asservie au fonctionnel" (M. Jimenez, Qu'est-ce que l'esthétique ? Galliamard, col. Folio/Essais, p. 11). Il est profondément engagé dans notre état d'être social, d'"animal politique".

     

     

    PROBLEMATIQUES

     

    Pour démêler un peu cette question, on peut distinguer au moins quatre façons de poser le problème.

     

     

    1) On notera d'abord que l'art apparaît aussitôt qu'il y a société humaine.

     

    L'art est bien l'un des "propres" de l'humanité, et la définit spécifiquement. Comme l'écrit Jean Duvignaud, "l'imaginaire est enraciné dans la vie collective" (Sociologie de l'art, Paris, PUF, 1967). Deux comportements apparaissent aussitôt qu'il y a société humaine : le culte des morts, la fabrication de "l'image d'art". Le premier art est un art funéraire. L'art concerne la façon dont les sociétés humaines font face à la mort. Selon Duvignaud (Debray reprend la thèse), dans l'art on retrouverait à l'œuvre "le trav= ail par lequel les sociétés humaines se défendent contre l'anéantissement par les pratiques mortuaires, mais déplacé" (p. 12).

     

     

     

    On peut y réfléchir en méditant la thèse hégélienne : "Le besoin général d'art est le besoin rationnel qui pousse l'homme à prendre conscience du monde intérieur et extérieur et à en faire un objet dans lequel il se reconnaisse lui-même". Lire Hegel, Introduction à l'esthétique, Flammarion, col. Champs, pp. 61/62.

     

     

    2) On peut par ailleurs considérer toute œuvre d'art ou production artistique comme la manifestation spécifique d'une société donnée.

     

    Les exemples sont multiples, de l'art grec à l'art contemporain, qui nous convainquent de la vérité de la thèse de MARX : Tout art est lié à un état social déterminé, à une époque du développement historique.

     

    Oui, mais ce qui doit être objet de réflexion, ce qu'il faut essayer de comprendre, c'est la nature de ce lien : reflet, image, témoignage, consécration, inversion, refuge ? Et comment se forge-t-il : expression volontaire, inconsciente ?

     

    La réflexion sur ces questions retrouve nécessairement les analyses de MARX dans un passage de son Introduction à l'économie politique (1857). Marx butte sur une difficulté : si l'art est lié à son temps, comment peut-il encore nous toucher, quand les conditions de ce temps ont disparu ? "La difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liés à certaines formes du développement social. La difficulté riside dans le fait qu'il nous procurent encore une jouissance esthétique et qu'ils ont encore pour nous, à certains égards, la valeur de normes et de modèles inaccessibles".

     

     

    3) Un troisième point de vue possible regarde l'art comme une pratique sociale spécifique, une "pratique culturelle".

     

    Ici, la sociologie interroge une pratique et des valeurs discriminantes, "classantes" au sein de la société. La sociologie de l'art de Pierre Bourdieu en offre l'un des meilleurs exemples. Elle est nécessairement "iconoclaste" et fait grincer les dents ! Cf. :

     

     

    L'amour de l'art, les musées européens et leur public (Minuit, 1966)

     

    Un art moyen (Minuit, 1965)

     

    La distinction, critique sociale du jugement (Minuit, 1979)

     

    Les règles de l'art, genèse et structure du champ littéraire (Seuil, 1982)

     

     

    4) L'art peut aussi être envisagé dans sa dimension proprement politique : dans son rapport avec l'organisation et la conduite du "vivre ensemble".

     

    Le théâtre grec avait ainsi une fonction éminemment politique dans la Cité et le vie du citoyen. B. Brecht faisait aussi de son théâtre une arme politique. On peut aussi penser au cinéma d'Eisenstein.

     

    Plus fondamentalement, Schiller voyait dans l'art le plus puissant outil d'émancipation et d'accomplissement de l'idéal humain de liberté. L'art doit bien selon lui assumer une fonction politique. H. Marcuse est bien son successeur lorsqu'il écrit "La dimension esthétique".

     

     

     

    CONSEQUENCES EDUCATIVES

     

    Chacune de ces perspectives, chacun de ces points de vue concernant les relations entre l'art, la société et le politique peuvent être développés sur le terrain de l'éducation. On essaiera ici d'envisager quelques-unes de ces conséquences possibles…

     

    Pour poursuivre et étayer la réflexion, on se donnera quelques repères dans la philosophie esthétique.

     

     

     

    KANT : UNE ANTHROPOLOGIE DE L'EXPERIENCE ESTHETIQUE

     

     

     

    SCHILLER : L'EDUCATION ESTHETIQUE COMME EDUCATION POLITIQUE DE L'HUMANITE

     

    On peut considérer Les Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (1795) comme le prototype du recours moderne à l'art comme accomplissement politique.

     

    "Pour résoudre pratiquement le problème politique, c'est la voie esthétique qu'il faut prendre, parce que c'est par la beauté qu'on arrive à la liberté" (Lettre II, fin).

     

    Pourtant le monde moderne laisse bien peu de place à l'art ! les modernes ne sont pas des grecs !

     

     

     

    La référence théorique de la démarche est bien l'esthétique kantienne, que Schiller prolonge et déplace.

     

    En effet, si Kant a posé l'indépendance de l'esthétique à l'égard de la morale, il a néanmoins maintenu un lien symbolique entre le beau et la moralité. Schiller veut lui donner un sens et une portée concrets.

     

     

    La Lettre VI décrit l'unité perdue, la nature humaine déchirée : comment (re)trouver l'unité et l'harmonie ?

     

     

     

    Dans le jeu, l'homme a une "intuition complète de son humanité" (Lettre XIV). Il s'agit d'un état de liberté : l'homme échappe à la servitude de la raison livrée à elle-même comme à celle de la sensibilité. Sa nature est pleinement réconciliée et libre.

     

     

     

     

    Ce que M. Jimenez traduit justement en ces termes : "L'autonomie esthétique joue donc un rôle essentiel. Grâce à elle, il devient possible de concevoir un Etat où la liberté, tout d'abord reconnue dans le domaine de l'art, s'étendrait à tous les autres domaines, celui des relations sociales et des relations morales…

    L'initiation aux arts, à la musique, à la peinture, à la poésie favorise l'épanouissement de l'individu. Le rôle de l'Etat moderne est de développer les conditions qui permettent à tous de bénéficier du même privilège". (Qu'est-ce que l'esthétique, pp. 174/175)

      

     

     

     

    GAGAMER : LES FONDEMENTS ANTHROPOLOGIQUES DE L'EXPERIENCE ESTHETIQUE

     

     

     

    MARCUSE : LE POTENTIEL POLITIQUE DE L'ESTHETIQUE

     

     

     

     

     

    BIBLOGRAPHIE GENRALE

     

     

    ART, IMAGE ET IMAGINAIRE EN EDUCATION ET EN FORMATION

     

     

    AMENGUAL Barthélémy, Clefs pour le cinéma, Paris, Seghers, ARDOUIN Isabelle, L'éducation artistique à l'école, Paris ESF, 1997.

     

     

    Art et Education, Centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'expression contemporaine, Université de Saint-Etienne, 1986.

     

    BARTHES Roland, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Edition de l'Etoile , Gallimard, Le Seuil, 1980.

     

    BESSIERE Irène, Le cinéma, Paris, Larousse, col I>déologies et sociétés.

     

    P. BONAFOUX et D. DANETIS (dir.), Critique et enseignement artistique : des discours aux pratiques, Paris, L'harmattan, 1997.

     

     

    Communications n° 23, Psychanalyse et cinéma, Paris, Le Seuil, 1975.

     

    DEBRAY Régis, Vie et mort de l'image. Une Histoire du regard en Occident, Paris, Gallimard, 1992.

     

    DEPOUILLY J. , Enfants et primitifs, Delachaux et Niestlé, 1964.

     

    B. DUBORGEL, Imaginaire et Pédagogie, Privat, 1992.

     

    J. DUVIGNAUD, Sociologie de l'art, Paris, PUF, 1967.

     

    A.D. EFFLAND, A history of art education : intellectuel and social currents in teaching the visual arts, NewYork, London, Teachears Collège Columbia University, 1990.

     

    L. FERRY, Homo Aestheticus, L'invention du goût à l'âge démocratique, Paris, Grasset, 1990.

     

    Bernard André GAILLOT Arts plastiques. Eléments d'une didactique critique, Paris PUF.

     

    D. HAMELINE, L'éducation, ses images, son propos, Paris, ESF, 1986.

     

    V. HELL, Schiller et les théories sur l'esthétique, Aubier.

     

    JAC (dir.), Situation d'enseignement en arts plastiques en classe de 3ème, Département de didactique des disciplines, Equipe arts plastiques, Paris, INRP, 1990.

     

    G. JEAN, Pour une pédagogie de l'imaginaire, Paris, Casterman, 1976.

     

    M. JIMENEZ, Qu'est-ce que l'esthétique ? Gallimard, col. " Folio-Essais ", 1997.

     

     

    L'enfant vers l'art (revue)

     

    D. LAGOUTTE (dir.), Les arts plastiques, contenus, enjeux, finalités, Paris A. Colin, col Former des enseignants, 1990.

     

    Y. MICHAUD, La crise de l'art contemporain, Paris, PUF, 1997.

     

    Henri MICHAUX, Essais d'enfants. Dessins d'enfants, in Déplacements. Dégagements, Gallimard, 1985.

     

    MORIN Edgar, Le cinéma ou l'homme imaginaire, Paris, éditions de minuit, 1965 (également en poche chez Gonthier Denoël).

     

    19J. PIAGET, L'éducation artistique et la psychologie de l'enfant, in Edwin Ziegfried , Art et Education, recueil d'essais, Paris, UNESCO, 1954.

     

    B. REINER and Ralph A. SMITH, The arts, education, and aesthetic knowing, Chicago, ed. for the Society Kennethn J. Rehage, NSSE 1992.

     

    C. REYT, Les arts plastiques à l'école, Paris, A. Colin, 1998.

     

    SCHILLER, Lettre sur l'éducation esthétique de l'homme, Aubier/bilingue

     

    M. SHERRINGHAM, Introduction à la philosophie esthétique, Paris, Payot, 1992.

     

    A.E. SEJTEN, Diderot ou le défi esthétique, Les écrits de jeunesse 1746 - 1751, Paris, Vrin, 1999.

     

    I. WOJNAR, Esthétique et Pédagogie, préface E. Souriau, Paris, PUF, 1963.

     

    E. ZIEGFRIED , Art et Education, recueil d'essais, Paris, UNESCO, 1954.

     

     

     

    Quelques domaines de recherche. Autour du premier axe

    (Rappel)

     

     

     

    1) L'éducation artistique et la pédagogie de l'imaginaire

     

    Etudes de pratiques et dispositifs d'éducation artistique dans le champ scolaire et péri-scolaire (théâtre, danse, arts plastiques, cinéma, musique, poésie, ateliers d'écriture, projets d'établissement, parcours diversifiés, etc.).

     

    La place de l'éducation esthétique dans les politiques éducatives.

     

    Pédagogie des arts : l'histoire, les enjeux. Exemple : cinéma et enseignement.

     

    La place de l'éducation artistique dans les revues professionnelles.

     

    L'éducation esthétique dans les doctrines éducatives. Quelle place ? Quel rôle ? Pourquoi ? Quelle place pour l'image, l'intuition, le sentiment ? Pour le corps, les sens ? (Exemples : Rousseau et l'éducation esthétique dans l'Emile, éducation artistique et éducation nouvelle, Le mouvement Freinet et l'éducation artistique ; Maria Montessori et l'éducation sensorielle, etc…).

     

    Le recours esthétique en formation d'adultes. Dispositifs, discours, doctrines.

     

    Le thème de l'enfant artiste, de l'enfant créateur, de l'art enfantin.

     

    Former des artistes (arts plastiques, musique, danse, théâtre, cinéma…). L'apprentissage des arts. Didactiques, démarches, transmissions.

     

    L'élève-artiste. Le " rapport au savoir " et à l'étude dans les classes spécialisées (théatre, cinéma, arts plastiques, musique, danse…)

     

    Education artistique et éducation scientifique : le positivisme (Comte, Durkheim)

     

    Une " alliance " contemporaine : la pédagogie " innovante " et l'art moderne, l'avant-garde, le contemporain. Voyez dans les classes maternelles et les revues professionnelles. Pourquoi ?

     

     

    2) L'art et les activités créatrices dans les pratiques sociales. Usages sociaux.

     

    Les dispositifs et les pratiques culturelles. Inventaire et analyse dans un secteur donné.

     

    Suivi et analyse d'un dispositif spécifique : atelier d'écriture, atelier d'arts plastiques, théâtre…

     

    Les pratiques musicales.

     

    Art et lien social : des artistes et des pratiques artistiques au secours des banlieues.

     

    Art et handicap.

     

     

    3) L'éducation et l'enfance, vues du côté des artistes

     

    Enfance et éducation dans l'œuvre et le propos des artistes :  Quelques exemples : Baudelaire, Paul Klee, Picasso, André Breton et les surréalistes, Gombrowicz, Henri Michaux, Joseph Beuys, François Truffaut, Maurice Pialat…)

     

    La vision éducative des artistes et théoriciens de l'art. Exemple : Kandinsky (Du spirituel dans l'art). A rapprocher de Montessori, Steiner (la théosophie, l'anthroposophie) ?

     

     

    (NB. Cette direction s'inscrit plus encore dans la seconde grande perspective de recherche : images et imaginaire de l'éducation et de l'enfance dans l'art et la fiction. On la signale ici pour souligner l'apport possible, l'influence des artistes sur les conceptions et les pratiques en éducation)

     

     

    POUR DEMARRER LA RECHERCHE

     

     

    1. LE CENTRE D'INTERET QUE JE RETIENS :

     

    (J'ai envie de montrer que…, de comprendre que…, de modéliser…)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    2. QUESTIONNEMENTS POSSIBLES A PARTIR DE CE CENTRE D'INTERET :

     

     

    1.

     

    2.

     

    3.

     

    4.

     

     

     

    3. LA PROBLEMATIQUE QUE JE RETIENS :

     

    LE PROBLEME dont le caractère de faisabilité, le côté novateur et " utile " me paraissent conduire à une recherche féconde, peut être ainsi formulé :

     

     

     

     

     

  • L'HYpose) qui
  • sous-tend ce problème est la suivante :

     

     

     

    LES THEORIES DE REFERENCE auxquelles je vais puiser appartiennent au registre de :

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    4. LE CORPUS QUE J'AI BESOIN DE CONSTITUER SERA COMPOSE DE :

     

     

     

    Documents, textes, images, répertoires, etc…

     

    1.

     

     

    2.

     

    3.

     

     

    4.

     

     

     

    5. LA DEMARCHE CHOISIE ME CONDUIRA A :

     

    Interviewer pour….

     

     

    Observer pour…

     

    Analyser (documents, textes, films, etc.) pour…

     

    Mener une enquête auprès de … pour…

     

    Proposer une questionnaire à… afin de …

     

     

     

     

     

    6. MON TRAVAIL PREALABLE ET PARALLELE :

     

    1. Lectures théoriques de base

       

       

    2. Préparation méthodologique

       

       

    3. Travail documentaire

     

     

    ANNEXES

     

     

    I. " IMAGES EN TEMPETE (Une démarche plastique) "

     

    " Ce film est centré sur l'attitude d'un instituteur qui fait pratiquer les Arts plastiques...en plasticien.

     

    L'enseignant est parti d'un projet longuement mûri, adapté à sa classe de CM2 comprenant vingt-huit élèves de neuf nationalités différentes. Ses élèves ayant été particulièrement sensibles, l'année précédente, aux déroulement des Jeux Olympiques et à l'esprit de loyauté qui les anime, il a pensé leur faire réaliser une grande fresque sur les activités physiques et sportives.

     

    Mais des problèmes matériels se posent : on ne peut pas peindre sur le mur prévu à cet effet, pourquoi une classe plutôt qu'une autre réaliserait-elle ce projet ? D'ailleurs, le sujet lui-même est contestable : l'actualité des Jeux Olympiques a disparu et la motivation des élèves n'y est plus.

     

    Alors le thème de la fresque sur les sports est abandonné pour l'expression de ce qui pourrait unir ces enfants de milieux culturels si différents. Ces derniers temps, en raison d'événements internationaux, les préoccupations des élèves tournaient autour de la protection contre l'agression des éléments naturels. On devine le glissement symbolique qui s'est opéré. Le sport permettait d'exprimer l'égalité de tous, mais ce- n'est pas la réalité de tous les jours, il faut sans cesse se protéger contre diverses agressions ; c'est bien le destin de l'homme de devoir se protéger continuellement contre les autres et contre la nature. Le projet évolue par association d'idées.

     

    On assiste, depuis ce moment, à l'évolution d'une pensée dont les contenus se précisent. L'instituteur évite de trop solliciter ses élèves parla parole, il ménage un environnement coloré et sonore qui aura une fonction imageante, énonciatrice et kinesthésique. La phase d'effectuation par groupes concrétisera dans le matériau cette émergence de signes. Mais doit-on en rester là ? Qu'est-ce qui est en jeu dans cette expression ? Les élèves n'ont fait que représenter, c'est-à-dire présenter une seconde fois ce qu'ils connaissaient déjà et qu'ils avaient verbalement évoqué. La séance d'Arts plastiques n'aurait donc servi qu'à la visualisation de stéréotype sur la mer, la banquise et le désert ?

     

    C'est le début d'un processus pédagogique sur lequel le film insiste. L'objectif de la production de ce document est de montrer combien l'enseignement des Arts plastiques participe à l''éducation de l'enfant grâce à une attitude spécifique du maître. En effet' le verbe éduquer est un mot fort, il signifie "tirer de", emmener plus loin, vers un ailleurs. Pour un éducateur, la tentation est grande alors d'enseigner un savoir. Ce serait ignorer ce qui anime l'enfant dans son désir d'apprendre d'abord et non pas de savoir. Car les élèves possèdent tous ce désir de comprendre. Ils sont confiants en ceux qu'ils sentent capables de répondre à cette attente, en ceux qui prêtent attention à leur existence, en ceux qui ont su donner suite à leurs élans vers le monde, en ceux qui ont pu leur permettre cette rencontre avec eux-mêmes. car, en pratiquant les arts plastiques, il s'agit bien pour chacun de partir à sa propre découverte, afin de se connaître et de se faire reconnaître.

     

    L'instituteur est à l'écoute des préoccupations de ses élèves, il tient compte de leurs vécus différents, les aide à les exprimer, suscite des prises de conscience, propose des matériaux, organise un environnement inducteur, apporte des savoirs nécessaires au moment opportun, débloque des situations, accompagne l'action de chacun, reste attentif aux relations individuelles. On peut le qualifier de catalyseur (il déclenche des actions) et de socratique (il "accouche" les esprits). Il est aussi un praticien de la poïétique (Processus du faire) dans la mesure où il fait faire, où les réactions de ses élèves constituent un matériau à partir duquel il doit tirer le meilleur parti. C'est pourquoi il les incite à aller toujours plus loin dans leurs recherches. Il les accompagne en adoptant une attitude qui se modèle à la leur, il se veut lui-même plastique en modifiant son propre projet pédagogique en fonction des circonstances de l'actualité, de l'institution scolaire, du matériel, des possibilités locales. A titre d'exemple, l'instituteur utilise les services offerts gracieusement par les entreprises installées sur la commune et à sa proximité : la fonderie Delachaux, l'établissement de peinture Valentine, les ateliers municipaux à Gennevilliers, l'imprimerie Glory à Asnières.

     

    La production devient ambitieuse dans ses intentions et ses dimensions. L'imaginaire utilise un champ d'investigation à ses mesures. L'expression a besoin du patronage des dieux. On revient toujours à ceux-ci quand on touche aux choses essentielles parce que les idoles exorcisent les craintes. Des images primordiales apparaissent alors inévitablement dans les productions des élèves : la protection invite à un mouvement de repli sur soi (villages dans des paysages de sable), et la réaction contre l'agression à un mouvement d'élévation (les "tours de Babel", les pyramides). Ce sont là de "grandes gestuelles" à travailler, sources de multiples occasions de découvertes.

     

    Le tournage du film est termine, mais la classe continue de vivre son aventure. Les Arts plastiques ont servi de lien entre les différents éléments du groupe par un travail alternativement collectif et individuel qui entraînera des recherches dans lesquelles chacun s'impliquera. L'instituteur a réussi à faire aimer véritablement l'acte qui crée, l'acte qui permet de se sentir en harmonie avec le monde et avec les autres, de vivre avec volupté sa liberté parmi les libertés des autres. Et cela, parce que lui-même a su rester disponible sans renier ses compétences, si modestes soient-elles. "

     

     

     

    II. Peter HANDKE, Histoire d'enfant, récit traduit de l'allemand par Georges-Arthur Goldschmidt, Paris, Gallimard, 1983.

     

     

    I

     

     

    " Une des pensées d'avenir de l'adolescent c'était de vivre plus tard avec un enfant. L'image d'une entente muette, de courts échanges de regards : on s'accroupissait, une chevelure, une raie irrégulière, on était près et loin en heureuse harmonie. La lumière de cette image, quand elle revenait, c'était l'obscurité peu avant la pluie sur une cour au sable grossier, bordée d'une bande de gazon, devant une maison à la présence toujours imprécise et qu'on sentait seulement derrière soi, sous le toit de feuillage serré de grands arbres bruissants. Il était aussi naturel de penser à cet enfant que d'attendre deux autres choses importantes : la femme qui, il en était convaincu, lui était destinée et qui depuis toujours, par cercles concentriques, allait secrètement à sa rencontre, et la vie professionnelle où seule lui faisait signe la liberté digne d'un homme, sans que ces trois attentes apparaissent, ne fût-ce qu'une seule fois, confondues en une seule image.

    Le jour de la naissance de l'enfant désiré, l'adulte se trouvait sur un terrain de sports à proximité de la clinique, un matin de clair soleil au printemps; dans les espaces sans herbe devant les buts les flaques d'eau étaient devenues de la boue dont s'élevaient des nuages de vapeur. A la clinique, il apprit qu'il arrivait trop tard. (Il avait éprouvé de la répugnance à être témoin oculaire de la naissance.) On roula sa femme dans le couloir, la bouche blanche et desséchée. La nuit précédente, elle avait attendu, seule au milieu d'une salle vide dans le lit à roulettes surélevé ; lorsqu'il était venu lui apporter quelque chose d'oublié à la maison, il y avait eu entre eux un instant de profonde douceur : l'homme debout sur le seuil avec un sac en plastique et la femme couchée nue au milieu de la pièce sur son haut dispositif métallique. La pièce est assez grande, ils se trouvent à une distance inhabituelle l'un de l'autre. Le linoléum brille, de la porte au lit, sous la lumière blanchâtre et chuintante du néon. Le visage de la femme, sous le vacillement de la lumière qui s'allume, s'est tourné vers lui sans surprise ni effroi. Derrière lui - il est minuit passé depuis longtemps - corridors et cages d'escalier du bâtiment se ramifient dans la pénombre sous une aura de paix que rien ne peut troubler et qui se prolonge jusque dans les rues silencieuses de la ville.

    Lorsqu'on montra l'enfant à l'adulte à travers la paroi vitrée, il ne vit pas un nouveau-né mais un être humain déjà parfait. (C'est seulement sur la photo qu'apparut la figure habituelle de nourrisson.) Une fille ? Cela lui convint tout de suite; dans le cas inverse - cela il le sut plus tard - la joie aurait été la même. Derrière la vitre on lui tendit non pas sa " fille " ni même sa " progéniture " mais un enfant. L'homme eut cette pensée : il est content, il aime bien être au monde. L'enfant, par le seul fait d'être, sans rien qui le distinguât, rayonnait de sérénité - l'innocence était une forme de l'esprit! - et cela se communiquait presque furtivement à l'adulte à l'extérieur; eux deux, là-bas, paraissant former une fois pour toutes un groupe de conjurés. Le soleil éclaire la pièce où ils se trouvent, sur le dos d'une colline. A la vue de l'enfant l'homme non seulement se sent responsable mais éprouve l'envie de le défendre et comme une impression sauvage: la sensation d'être debout sur ses deux jambes et d'être fort.

    Chez lui, dans l'appartement vide, mais où tout était déjà préparé pour la venue du nouveau-né, l'adulte prit un bain, abondamment, comme jamais encore, comme s'il en avait enfin terminé avec les avanies de l'existence. Il venait en effet de terminer un travail où il avait, croyait-il, pour une fois atteint ce qui est évident et ce qui, pourtant secondaire, était aussi de l'ordre de la loi. C'était cela qu'il s'était fixé pour but. Le nouveau-né; le travail mené à bien; ce minuit d'incroyable unisson avec la femme: pour la première fois l'homme étendu dans l'élément chaud et la vapeur se voit au sein d'un état de perfection petit, insignifiant, peut-être, mais qui lui convient. Quelque chose l'attire dehors, les rues pour une fois sont devenues les chemins d'une métropole familière: marcher là pour soi seul est en ce jour une véritable fête. Et de surcroît personne ne sait au juste qui je suis.

     

    Ce fut le dernier accord pour longtemps. A l'arrivée de l'enfant dans la maison, l'adulte crut revivre une jeunesse étriquée où il n'avait été, bien souvent, que le gardien de ses frères et soeurs plus jeunes. Au cours des années passées, cinémas, rues, tout ce qui était dehors et n'était pas sédentaire lui avait pénétré le corps et le sang; ce n'est qu'ainsi, pensait-il, qu'un espace existait pour les rêves de jour où l'existence pouvait enfin paraître aventureuse et digne d'attention. " Il te faut changer de vie! " Cela n'avait-il pas été écrit en lettres de feu pendant tout ce temps où rien ne l'attachait à rien ? Maintenant la vie allait nécessairement devenir tout autre. Lui, qui s'était tout au plus attendu à quelques transformations, se vit prisonnier chez lui, et tout au long des heures durant lesquelles, la nuit, il roulait l'enfant en pleurs à travers l'appartement, il se disait, privé d'imagination, que maintenant c'en était pour longtemps fini de la vie. " (pp  11-14)

     

     

     

     

     

    II

     

     

    " Et vint le jour de la faute et l'heure de l'enfant. Après une nuit de pluie - on était déjà au coeur du printemps - la partie basse de la construction neuve se trouva remplie d'eau. C'était déjà arrivé plusieurs fois et ce matin-là le niveau était plus haut que jamais: une véritable inondation (après les lettres d'usage, inutiles, " à une entreprise en bâtiment "). Ivre de sommeil, l'homme fixait l'eau brunâtre avec des idées de meurtre. D'en haut, l'enfant qui n'arrivait pas à se débrouiller avec quelque chose appelait encore et encore, toujours plus pressant, criant finalement sur un ton de catastrophe. Alors l'adulte, debout dans l'eau jusqu'aux genoux, perdit le sens: il se précipita en haut de l'escalier comme un meurtrier et frappa l'enfant de toute sa violence, comme il n'avait encore jamais frappé personne, au visage. L'épouvante vint presque en même temps que l'acte. Il porta l'enfant en pleurs, lui-même amèrement en peine de larmes, à travers les pièces où les portes du Jugement étaient partout grandes ouvertes sur les bouffées muettes et brûlantes des trompettes mortes. Bien que d'abord la joue seule de l'enfant enflât, il savait que le coup avait été si fort qu'il aurait pu tout aussi bien en mourir. Pour la première fois, l'adulte vit qu'il était un méchant; il n'était pas seulement un scélérat, il était aussi un réprouvé; aucune peine terrestre ne pouvait expier son forfait. Il avait détruit la seule chose qui lui eût jamais donné le sentiment glorieux d'une réalité durable, trahi la seule qu'il souhaitât jamais rendre éternelle et magnifier. Le damné s'accroupit auprès de l'enfant et s'adressa à lui dans les formes les plus anciennes de l'humanité, inexprimables et inimaginables pourtant jusque-là; plutôt en peine de mots que pénétré d'elles. Mais l'enfant opine de la tête et, dans la silhouette qui pleure calmement, se révèle, comme une fois déjà, le bref éclat d'yeux clairs, s'élevant au-dessus de la brume du monde environnant. Rarement plus flamboyante consolation échut à un misérable mortel (même si cet être prétendit plus tard " ne pas pouvoir consoler "). Donc on comprend l'adulte et on compatit : par une telle attention l'enfant, pour la première fois, entre en tant qu'acteur dans son histoire; et son intervention ainsi que toutes celles qui suivront, à diverses occasions, est comme un attouchement, front contre front et tout aussi laconique que le signe : "continuez à jouer" d'un arbitre expérimenté (qui est, lui, vraiment dans le monde).

    Bien entendu la silencieuse consolation du regard, cela ne suffisait pas : il continua à être un réprouvé jusqu'à ce que l'incident eût été explicitement confessé à un tiers, non pas une fois mais encore, et encore (sans en être effacé pour autant). - Et pourtant ce jour vibre dans le souvenir comme l'un de ces jours d'exception dont on pourra dire : l'herbe était verte, le soleil brillait, la pluie tombait, les nuages passaient, le crépuscule venait et la nuit était calme: ce sont là des repères pour une vie humaine autre, éternelle parfois dans l'intuition, et la seule vraie, en tout cas. Du lointain émerge, couverte de forêts, la montagne au pied de laquelle les maisons se rassemblent. Les arbres en un même élan montent de tous côtés vers le ciel et la douceur, la régularité de la pente qui semble sans fin, donne, à partir du cône de la montagne, un sentiment de fertilité. Les rochers clairs au milieu des arbres brillent, de loin, comme les couronnes d'écume de la mer et posent, sur la poitrine, des touches de liberté. Devant, pour un instant encore, serpente le fleuve étranger dont le scintillement s'étend au-delà de toutes les frontières possibles. C'est seulement dans la contrition d'une défaillance ou d'une faute où, magnétiques, les yeux s'ouvrent que ma vie s'amplifie jusqu'à l'épique. " (pp. 46-49)